Charlemagne : moustache ou barbe ? L’art du portrait

L’évolution du portrait de l’empereur a ponctué l’histoire de l’art : Charlemagne, moustache ou barbe ? C’est bien la question qui persiste. Avant d’y répondre de manière quasi-certaine, nous allons nous plonger dans l’histoire de la pilosité de sa majesté impériale. Pour cela, penchons nous sur les nombreuses représentations connues de Carolus Magnus. Et nous verrons comment quelques poils, selon l’époque, peut attester d’une autorité.

Charlemagne : plutôt barbe que moustache ?

La “barbe fleurie” a-t-elle vraiment existé ?

“L’empereur à la barbe fleurie“. Cette expression, si vous ne l’avez jamais croisé, vous la lirez probablement un jour. Mais d’où vient-elle ? Et bien d’un poème du XIème siècle très célèbre : La chanson de Roland.

… Sous un pin, près d’un églantier,
Est un fauteuil d’or massif.
C’est là qu’est assis le roi qui tient douce France.
Sa barbe est blanche, et son chef tout fleuri ;
Son corps est beau, et fière est sa contenance.
À celui qui le veut voir il n’est pas besoin de le montrer…
Les messagers païens descendent de leurs mules,
Et saluent Charles en tout bien, tout amour.

(Vers 114-121.)

La chanson de Roland, XIème siècle, Vers 114 à 121, édition de 1872 par le professeur Léon Gautier (ici)

De ce poème, on retenait donc que le roi Charles (Charlemagne) avait une “barbe blanche” et le “chef (la tête) tout fleuri”. De là on alla vers la “barbe fleurie”. Attention : fleurie comme une fleur, à l’époque, cela veut aussi dire blanche comme une fleur. Fleuri est donc ici une répétition. Comme quoi, les choses vont bien vite. Selon ce célèbre texte, Charlemagne portait une barbe. Cette image de l’empereur barbu s’est très vite répandue en Europe.

Problème ? Ce texte remonte au XIème siècle. Soit au moins 200 ans après la mort de Charlemagne ! Dès lors, la barbe a très bien pu remplacer la moustache dans l’imaginaire de l’auteur…

La barbe, symbole associé à Charlemagne pendant longtemps…

La barbe apparaît de plus en plus clairement sur les représentations de Charlemagne tout au long du Moyen-âge. Statues, peintures, gravures, reliefs. L’empereur n’est jamais figuré sans sa barbe. Aux XIIIème et au XIVème siècles, Charlemagne est l’objet d’une véritable vénération. Les empereurs germaniques lui vouent une admiration profonde. Vitraux dans des cathédrales ou statues dans des églises. La barbe est toujours présente. Symbole de cette dévotion, un reliquaire magnifique en or et en argent commandé en 1349/1350. Réalisé pour accueillir un morceau de son crâne, il est représenté, là encore, Charlemagne barbu.

A la Renaissance, le personnage connaît de nouveau une mode. En conséquence, des portraits sont commandés par des princes et seigneurs. Albrecht Dürer réalise la plus célèbre représentation de cette fantastique période artistique est réalisée par le peintre allemand. Il réalisa, entre 1511 et 1513, un tableau devenu célèbre de l’empereur (le tableau accompagnait un autre tableau : celui de l’empereur Sigismond). Charlemagne porte une couronne qui ne fut jamais la sienne (cette couronne n’est attestée qu’un siècle plus tard) et avec la fameuse longue barbe blanche.

La barbe s’inscrit définitivement comme symbole de l’empereur. Au XIXème siècle, les gravures le figurent toujours barbu. Une grande barbe blanche, bien souvent. Au XXème siècle, pourtant, on questionne cette manière de représenter Charlemagne. Avait-il vraiment une barbe ?

Charlemagne : moustache plutôt que barbe finalement ?

Et s’il avait porté une moustache ? Les représentations de son vivant !

Alors, cette barbe a-t-elle été une réalité ? Et quoi de mieux, finalement, que de remonter le temps, jusqu’au vivant de Charlemagne, pour savoir à quoi il pouvait bien ressembler ? Regardons comment il était représenté quand il était bel et bien vivant.

Le plus ancien document iconographique représentant Charlemagne que nous connaissons date des années 796 à 798. A cette époque, le pape Léon III, proche de Charlemagne (qui est encore roi des francs), le fait représenter, à ses côtés, aux pieds de Saint-Pierre, gardien des clés du paradis. Une mosaïque est ainsi réalisée dans la cathédrale Saint-Jean de Latran à Rome. Mais elle n’a pas survécu. Cependant, des copies ont été réalisées, notamment une encore visible aujourd’hui. Elle décore le palais de Latran depuis le milieu du Moyen-âge.

L’autre document déterminant pour parler de la pilosité de l’empereur est une pièce de monnaie. Un exemplaire parmi les plus rares au monde. Conservée dans le Cabinet des Médailles, à la Bibliothèque Nationale de France, il s’agit d’un denier d’argent de Charlemagne, frappé à Mayence (Allemagne actuelle) entre 812 et 814. Charlemagne n’est alors plus roi mais empereur (depuis 800). Au droit (côté d’une pièce de monnaie), il est représenté… moustachu. Il porte les attributs des empereurs romains comme une couronne de lauriers et un paludamentum (drapé). Autour sont notés les mots : KAROLUS IMP[ERATOR] AUG[USTUS] (Charles, empereur auguste).

Ainsi, pour une seconde représentation de son vivant, Charlemagne est représenté avec une moustache. Et non une barbe.

Enfin, nous pourrions évoquer la petite statue équestre parfois appelée “Statue équestre de Charlemagne“. Réalisée au début du IXème siècle, elle représente un empereur. Il peut s’agir de Charlemagne mais aussi de son petit fils, Charles le Chauve. Nous n’avons donc aucune sûreté sur la personne représentée. Seule chose qui nous intéresse ? Elle porte bien une moustache ! Vous pourrez l’admirer et tout savoir en cliquant ici.

A NOTER : l’analyse de Christian Joschke, historien de l’art, sur la statuette équestre, consultable ici.

Attention à la propagande par… Charlemagne lui même !

Et si Charlemagne avait bel et bien porté une barbe mais avait décidé de la supprimer sur les représentations réalisées sous son règne ? Voir l’aurait même rasé, physiquement, parce qu’il avait des idées derrière la tête ? C’est la troisième possibilité et elle est sérieuse.

En effet, Charlemagne se rêve, dès les débuts de son règne, en successeur des empereurs romains. Il se voit César. Lui qui est pourtant issu d’un monde étranger, que les romains nommaient “barbare”. Charlemagne s’est en effet attaché à copier les empereurs à plusieurs reprises et dans plusieurs domaines. Dans l’architecture, le règne de Charlemagne voit renaître le style latin. Charlemagne se fait construire des thermes dans son palais à Aix-la-Chapelle. Il réalise même son rêve dans la nuit du 24 au 25 décembre de l’an 800 quand, à Rome, le pape Léon III le sacre empereur.

Il est probable, donc, que Charlemagne ait voulu copier aussi le style romain. L’empereur a ainsi pu porter une barbe avant de porter principalement la moustache. Les carolingiens se font ainsi représenter principalement moustachus. C’est une rupture avec la dynastie franque précédente, les mérovingiens. C’est aussi une autre vision du pouvoir : s’élever non plus en rois des francs mais en empereurs d’Occident.

Et de nos jours ?

Les travaux des historiens et le retour en avant des représentations de son temps ont permis à Charlemagne de retrouver sa moustache. Plusieurs bandes-dessinées publiées pour la jeunesse, ces dernières décennies, représentent Charlemagne avec sa moustache ! En voici quelques exemples :

• Charlemagne, empereur d’Occident, par Reynald Secher et Ray Saint-Yves, éditions E.R.S., 2002
• Charlemagne, par Clotilde Bruneau, Vincent Delmas et Gwendal Lemercier, éditions Glénat, 2014
• Charlemagne, par Dominique Joly et Bruno Heitz, éditions Casterman, 2020

Conclusion et qu’en retenir

On retiendra que l’histoire forge des images selon le moment. On peut même oublier l’image d’origine d’un homme ou d’une femme. D’un moustachu au visage rond, on en arrive à passer à un visage fin orné d’une longue barbe blanche. Un Charlemagne à moustache peut devenir un Charlemagne à barbe. Un texte, écrit bien plus tard, semble avoir eu plus d’importance, pour les artistes des siècles suivants, que les images d’origine.

L’Histoire de l’art est ponctuée de ce type d’exemple. Depuis l’Antiquité. Souvenez vous bien de cela : l’Histoire forge les personnalités et peut même les modifier. Les périodes voient les personnages selon ce qui les arrangent.

Et à l’heure où la barbe est de retour dans notre société : peut-être que l’on va de nouveau préférer imaginer Charlemagne avec une barbe…

Charlemagne : moustache ou barbe ?

Quelle utilisation en classe ?

En Histoire, ce sujet sur la représentation d’une personnalité à travers le temps pourra servir en :

• 5ème, dans le premier thème d’Histoire, consacré notamment à l’Europe carolingienne. On évoquera ensuite comment les seigneurs européens, durant la période féodale (deuxième thème), ont pu utiliser l’image de l’empereur.
• 1ère, spécialité Géopolitique et sciences politiques, pour étudier Charlemagne dans le cadre des relations entre Etats et religions

En Histoire de l’art

• Pour un oral de brevet en Histoire de l’art, le sujet de la manière dont on représente un individu dans l’histoire. Il faudra évidemment donner d’autres exemples !
• En Arts Plastiques, pour une étude limitée mais précise sur cet exemple.

LABROUSSE Cédric, 8 septembre 2022

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