Caricaturer les impérialismes en Extrême-Orient (Asie) : de 1900 à 2022

Caricaturer les impérialismes en Extrême-Orient (Asie) au travers d’une célèbre carte de 1900 et de sa mise à jour en 2022. C’est là l’intérêt de cette publication qui inaugure cette Cartothèque. Penchons nous sur les productions de deux artistes : un dessinateur de la fin du XIXème / du début du XXème siècle et son homologue, artiste en exil, vivant au XXIème siècle.

La carte de la Chine face aux impérialismes en Extrême-Orient

Une carte devenue célèbre, bien au delà de l’Asie

On lira ainsi la légende de cette carte / caricature :

• En haut : « Carte de la situation politique » (時局圖).
• Sur le coté gauche : « qu’on saisit à première vue » (一目了然).
• Sur le côté à droite : « Cela va sans dire » (不言而喻).

Ce travail, très impressionnant de détails, permet de voir la critique acerbe du journaliste Tse Tsan-tai contre les impérialismes, surtout occidentaux et russe, sur la Chine. Il dénonce leur volonté de se partager l’immense empire chinois, alors dirigé par la dynastie Qing.

Analysons dans le détail :

• au nord, l’ours représente la Russie impériale des tsars, qui veut sa part de la Chine (la Mandchourie)
• la Chine est représentée par 4 types de personnages, tous occupés à d’autres préoccupations que de défendre leur pays : l’un est avachi sous l’effet de l’opium, d’autres profitent de l’arrivée du confort européen, etc… Aucun ne voit ce qui se passe.
• le Japon est représenté par le Soleil Levant qui, depuis son île, étend son influence sur la côte chinoise, de Formose (ancien nom de Taïwan) jusqu’à la Mandchourie.
• le pays le plus avancé dans sa prise de contrôle sur la Chine, le Royaume-Uni, est représenté par un bouledogue anglais. Ici, il s’oppose à son rival de toujours, la France.
• la France prend la forme d’une grenouille qui, contrôlant l’Indochine, veut bondir sur la Chine.
• les États-Unis sont représentés par un pygargue, l’oiseau symbole du pays : à ce moment, ils viennent en effet de prendre le contrôle des Philippines.
• tout en bas, les pays européens moins influents veulent aussi leur part de l’empire chinois…

Un artiste engagé : caricaturer pour dénoncer les impérialismes

Tse Tsan-tai (parfois orthographié Xié Zantai) est né en 1872, en Australie, dans une famille de la diaspora chinoise commerçante. Il rejoint la Chine pour y faire ses études, principalement à Hong-Kong. Passionné par l’aviation et le transport aérien, il se spécialise dans le dessin technique, notamment de dirigeables. Cependant, aucune de ses créations ne verra le jour. C’est en politique que Tse Tsan-tai veut s’engager. Il s’engage pour se révolter contre la dynastie Qing et pour un État démocratique. Il prend la tête d’un journal, le South China Morning Post, publié à partir du 6 novembre 1903. Son engagement est aussi contre les impérialismes qui profitent de la faiblesse de la dynastie Qing, qu’il accuse justement de ne rien faire face à la disparition de la Chine. Il meurt en 1938 à Hong-Kong, sans avoir, pourtant, participé à la révolution de 1911 qui a chassé la dynastie Qing.

En 2022 : le retour des impérialismes… dont l’impérialisme chinois

Une nouvelle carte pour caricaturer la situation en Extrême-Orient (Asie)

A l’automne 2022, l’artiste hong-kongais en exil, Ah To, publie sa propre version, comme un hommage, de la carte de Tse Tsan-tai pour dénoncer la situation en Extrême-Orient (Asie). Là encore, caricaturer sur une carte pour exprimer sa colère.

La carte est une reprise très visible (la légende autour est la même que la carte d’origine). Cependant, analysons le détail :

• L’ours russe avance avec un char marqué d’un Z. Tout brandissant un bouton nucléaire et tendant une lettre d’amour à la Chine. C’est la représentation de l’offensive débutée en février 2022 contre l’Ukraine, qu’il menace d’une frappe nucléaire. Isolé en Occident, il veut se rapprocher de la Chine.
• La Chine est représentée cette fois-ci en puissance dominante. On notera tous les détails : les symboles communistes, rappelant le Parti au pouvoir depuis 1949. La caméra, symbolisant le contrôle de la population. Les hommes en blanc, équipés pour lutter contre la Covid. On notera la répression des opposants mais aussi une « Erreur 404 » quand on veut chercher ce qu’il se passe au Xinjiang, où les Ouïghours sont réprimés.
• Au Myanmar, autre nom de la Birmanie, la dictature militaire sert la main de la Chine.
• On peut avoir Hong-Kong (fleur blanche sur un écusson rouge) en cage par la puissante Chine voisine.
• En mer du sud (sur la carte : « South China Sea »), les chinois avancent pour étendre leurs influences, faisant face au Viêt-Nam, à la Malaisie et aux Philippines qui s’y opposent.
• La pygargue américaine étend ses ailes pour montrer son soutien et sa protection à Taïwan, menacée, et au Japon, isolé.
• On observera le détail des Corées, notamment de la Corée du Nord. Elle fournit des missiles à la Russie, encouragée par la Chine…
• Tout en bas, on observera l’Australie, représentée par un kangourou, qui fait face aux britanniques et au Canada, dans le cadre de l’alliance voulue par les Etats-Unis dans le Pacifique.

Un opposant en exil face aux impérialismes

Ah To est né à Hong-Kong. Activiste engagé, autant qu’artiste, il s’investit notamment lors de la révolution des parapluies à Hong-Kong (2014). Ceci dans le but de dénoncer l’influence de la Chine communiste et autoritaire sur Hong-Kong. A la suite de la prise en main de Hong-Kong par le pouvoir chinois, Ah To prend la route de l’exil et se réfugie aux Etats-Unis. Il décide de mettre son talent pour caricaturer à son tour la situation dans tout l’Extrême-Orient (Asie), notamment les impérialismes.

LABROUSSE Cédric, 2 octobre 2022

Cet article est une production inédite de Cédric Labrousse – Merci de citer l’auteur, le titre et de fournir le lien par respects aux droits d’auteur.