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Critique du Professeur : The Woman King (film – 2022)

Une critique du film The Woman King, sorti en 2022. Une production venue tout droit des États-Unis. Le long-métrage nous plonge dans l’histoire des guerrières du Dahomey (Bénin actuel, Afrique de l’ouest) qui affrontèrent les troupes d’un autre royaume africain, Oyo, au cours du XIXème siècle, pour défendre leur pays. Penchons nous sur ce film et tentons de savoir s’il peut nous être utile en classe ? Une critique d’un professeur, une fois de plus.

Guerrières du Dahomey - The Woman King - Critique du prof'
The Woman King – Film de 2022 | Crédits : Ilze Kitschoff – TriStar Productions

Le cadre du film The Woman King

Pour poser le cadre, le film se déroule en 1823. A cette époque, il évoque la lutte du royaume de Dahomey contre le royaume d’Oyo qui impose sa loi sur le Dahomey. Woman King repose principalement sur le suivi des femmes guerrières nommées Agojié. Aussi surnommées les « Amazones du Dahomey », du nom de leur royaume. Elles formaient une troupe de combattantes au service du roi. Dans le film, le roi Ghezo lutte, avec ces féroces combattantes, contre le royaume d’Oyo…

Qui étaient les « Femmes du roi » (Woman King) ?

Le film repose principalement sur le suivi de ces femmes guerrières. Parfois surnommées les « Amazones du Dahomey », du nom de leur royaume. Elles formaient une troupe de combattantes au service du roi.

La naissance et l’histoire des Agojié

Les premières mentions d’Agojié remontent aux années 1720. Cependant, le groupe a pu exister dès le début des années 1700, sinon dans les années 1690. C’est une reine du Dahomey, Hangbe, qui est parfois citée comme ayant créé une troupe de gardes pour elle : une troupe de femmes. C’est sous le règne du roi Ghezo que les Agojié gagnent en influence et atteignent leur plus grand nombre : plusieurs milliers de combattantes?

Recrutement et missions

Les Agojié étaient recrutées aussi bien chez les volontaires que chez des conscrites obligées. Certaines étaient même d’anciennes esclaves, enrôlées de force. La plupart des recrues avait entre 10 et 14 ans. Nombre d’entre elles, une fois intégrées aux Agojié, devinrent des Ahosi : les « femmes du roi ».

Nombre d’Agojié, devenues « femmes du roi« , profitaient de nombreux privilèges : accès et vie au palais royal pour certaines, fourniture facilitée en alcool et tabac, etc. Elles n’ont pas, normalement, étant femmes du roi, le droit de se marier et fonder une famille. Cependant, elles ne partagent pas non plus son lit et sa vie.

Au combat, les Agojié sont divisées en cinq groupes : femmes d’artillerie (utilisant les canons), les chasseuses d’éléphants, les mousquetaires (utilisant des fusils), les femmes aux lames (utilisant épées, lances et poignards) et les archères. Elles font régner la terreur au combat par leur rapidité et leur agilité.

Guerrières du Dahomey - Agojié
Amazones guerrières du Dahomey dans les années 1890 | Crédits : Lithographie de 1897 – Getty Images

La fin des Agojié et les Amazones aujourd’hui ?

En 1851, une bataille impliquant beaucoup d’Agojié, contre un peuple rival (les Egba), a mené à la mort de centaines d’entre elles. En conséquence, cette troupe fut très affaiblie. Si le roi qui vint après Ghezo a tenté de se venger, les Egba résistèrent et les guerrières du Dahomey perdirent encore beaucoup de combattantes. Le coup de grâce vint avec la colonisation française.

Au début des années 1890, la France veut envahir et soumettre le Dahomey. En 1890, une première guerre éclate. Le roi Béhanzin engage ses troupes mais est défait à deux reprises et, en avril, accepte de céder plusieurs villes dont Cotonou. En 1892, nouvelle guerre. Après des mois de résistance héroïque, le Dahomey tombe : le 17 novembre 1892, la capitale, Abomey, est aux mains des français. Les dernières Agojié ont suivi le roi Béhanzin en exil en Martinique. Les autres se sont dispersées. Certaines furent exposées, telles des créatures exotiques, lors d’expositions coloniales. La dernière Agojié connue, survivante, fut Nawi. Elle mourut en 1979.

Symbole de force pour le Bénin, le pays qui existe actuellement en lieu et place du Dahomey, une immense statue de 30 m (!) représentant une « Amazone du Dahomey » fut édifiée. Elle a été inaugurée en 2022.

Statue de l'Amazone à Cotonou - Bénin
Inauguration de la statue de l’Amazone, à Cotonou, inaugurée le 30 juillet 2022 | Crédits : Présidence du Bénin, statue par l’artiste Li Xiangqun.

Un film historique ?

Des libertés chronologiques

Réalisé par Gina Prince-Bythewood, sur un scénario de Dana Stevens, inspiré par le récit de l’actrice Maria Bello, le film prend des libertés évidentes avec l’histoire. On vient de voir que Nawi a vécu à la fin du XIXème siècle et est décédée dans les années 1970. Le film la met en avant… dans les années 1820. Cette première liberté des créateurs du film révèle qu‘il ne peut s’agir d’un film historique proprement dit. En conséquence, si Thuso Mbedu, selon moi, tient très bien son rôle de la jeune Nawi, cela n’empêche pas de voir que le long-métrage ne suivra pas une chronologie exacte.

Dans le même temps, le film reprend bien le bon roi du Dahomey pour la bonne époque : John Boyega incarne ainsi le roi Ghezo. Et ce dernier fut bien roi au moment de ces évènements, ayant régné entre 1818 et 1859. A l’inverse, l’impressionnante générale Nanisca, jouée par Viola Davis, n’a tout simplement jamais existé.

La présence d’esclavagistes venus d’Europe peut être sujette à critique : déjà, le commerce atlantique des esclaves, nommé traite négrière, avait connu des interdictions de commerce vers l’Amérique (voir le film Amistad, critique ici). La présence de portugais peut évoquer le maintien de cette traite vers le Brésil. On restera donc prudent.

La générale Nanisca (Viola Davis) et le roi Ghezo (John Boyega) - Crédits : TriStar Productions
La générale Nanisca (Viola Davis) et le roi Ghezo (John Boyega) | Crédits : TriStar Productions | TNS.

Des points d’Histoire évacués… voir fortement modifiés !

L’un des gros points noirs du film tient au suivi de la politique du roi Ghezo. Montré comme un homme défendant des valeurs et son peuple, pouvant s’éloigner de l’esclavage sur conseils de sa générale Nanisca. L’esclavage était une source de revenus incroyables pour le Dahomey. En effet, cette activité très rentable reposait sur la capture d’esclaves chez leurs voisins et sur la revente d’esclaves aux européens. De fait, il me paraît ici essentiel de rappeler que le roi Ghezo, s’il abandonna un temps le commerce des esclaves, a repris cette activité quelques années plus tard !

Evidemment, le film se présente comme un long-métrage engagé (voir l’interview de la réalisatrice ici). Mais il eut été plutôt honnête, dans un texte en fin de film, d’évoquer la politique esclavagiste du Dahomey. Le pays, rappelons le, capturant des esclaves chez ses voisins, a vendu des dizaines de milliers d’esclaves noirs aux marchands européens jusqu’au début du XIXème siècle.

Plus symbolique, nombre d’Agojié ont participé, elles même, contrairement au discours tenu dans le film, à la capture… d’esclaves ! L’une des plus célèbres des Agojié, Seh-Dong-Hong-Beh, fut à la tête d’une véritable armée de femmes guerrières avec qui elle a prit le contrôle d’une importante place du commerce d’esclaves. Non pour les libérer mais… pour les capturer et les revendre plus tard ! Certaines avaient même des esclaves pour les servir…

Seh-Dong-Hong-Beh, guerrière du Dahomey, chasseuse d'esclaves
Seh-Dong-Hong-Beh, dessinée par Frederick Forbes en 1851 (Page 23 de son ouvrage : Dahomey and the Dahomans ; being the journals of two missions to the king of Dahomey, and residence at his capital, in the year 1849 and 1850, volume 1 publié en 1851) | Wiki Commons

Quel usage en classe ?

C’est la question déterminante que se poseront élèves et enseignants visés par cette partie de la critique.

Je ne recommanderai pas ce film pour nos usages en classe. Ni en diffusion d’extraits si accès autorisé, ni en référence de cours. Comme expliqué plus haut, il posera problème sur la chronologie ou la réalité des personnages.

Peut-on évoquer le film ? Oui. Il peut être évoqué, mais en rappelant que c’est une fiction romancée, avec un fond historique. Les élèves de 4ème y trouveront des notions sur la traite négrière et l’esclavage. Les élèves de Première y trouveront aussi des références au programme.

Bande-annonce officielle de The Woman King, mise en ligne par Sony Pictures

Le prof’ a surtout aimé…

  • Viola Davis et Thuso Mbedu, incroyables dans leurs rôles
  • L’image et la qualité par la photographie de Polly Morgan et Terilyn A. Shropshire
  • La bande originale par Terence Blanchard, hypnotisant…

Je vous recommande :

  • Amazons of Black Sparta, The Women Warriors of Dahomey, par Stanley B. Alpern, publié en 2011 aux éditions C. Hurst & Co..
  • Les Amazones, Une armée de femmes dans l’Afrique précoloniale, par Hélène D’Almeida-Topor, publié en 1984 aux éditions Rochevignes, réédité en 2016 aux éditions La Lanterne Magique.

Et comme d’habitude, bon visionnage !

LABROUSSE Cédric,

28 septembre 2022

Une critique par Cédric Labrousse – Si usage, merci de citer l’auteur, le titre et d’ajouter le lien de l’article.

Les amazones du film Woman King - Sony Pictures
Les amazones du film Woman King | Crédits : Sony Pictures

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