Le cerisier du Japon : archive d’un changement climatique
La période de floraison du cerisier du Japon est archivée chaque année depuis le IXème : un véritable marqueur d’un changement climatique. Car la floraison est désormais toujours plus précoce. Une archive naturelle dont l’apparition est minutieusement cataloguée. Cet arbre est devenu peu à peu une ressource pour étudier les aléas du climat. Et notamment le dernier en date dont on parle tant. Je vous propose de nous pencher sur ce formidable indicateur de l’évolution climatique sur plus d’un millénaire.
Le cerisier du Japon, un arbre mythique
Le Japon est un pays où les symboles sont nombreux. Et le cerisier du Japon tient une bonne place. En effet, il est devenu, peu à peu, aussi célèbre que le Mont Fuji, les sushis ou encore les chambres d’hôtel de la taille d’un lit. Cependant, la récente popularité du cerisier du Japon ne tient pas uniquement à sa beauté légendaire dans le paysage nippon. Mais avant d’aborder cela, penchons nous sur cet arbre.
La variété principale du cerisier du Japon est nommée scientifiquement Prunus serrulata. Les japonais les nomment aussi sakura. Il pousse naturellement dans le pays depuis des millénaires (mais aussi en Chine et dans la péninsule coréenne). Sa célébrité lui vient notamment de sa période de floraison, courte (environ deux semaines) et très attendue. Le cerisier atteint ce que l’on nomme le “pic de floraison” lorsque les températures deviennent agréables au printemps : soit normalement entre avril et mai. Mais depuis quelques décennies, comme nous le verrons dans la suite, la hausse des températures au Japon a bouleversé la floraison du cerisier japonais.
Tout une tradition entoure cette période. Elle remonterait au VIIIème siècle. Ainsi, c’est depuis cette époque que se tiendrait le hanami. On peut traduire cela par “regarder les fleurs”. Il s’agit d’une fête où l’on se retrouve sous les fleurs naissantes, pour manger et boire, notamment du saké. Fête aristocratique à l’origine, c’est devenu un évènement populaire au fil des siècles. Et c’est un rendez-vous incontournable encore de nos jours.
« La contemplation des cerisiers correspond aussi au début de la rentrée scolaire et universitaire, de l’année fiscale, et de l’arrivée des nouveaux employés dans les entreprises », explique Jean-François Heimburger, chercheur associé au CRESAT (université de Haute-Alsace) et spécialiste du Japon.
Dans un article de Léa Gorius, Japon : poussés par le changement climatique, les cerisiers fleurissent en avance, le 2 avril 2021, dans le journal La Croix
Depuis quand s’intéresse-t-on à la période de floraison du cerisier du Japon ?
Tout d’abord, le pionnier dans ce travail fut Yasuyuki Aono, chercheur à l’université d’Osaka. Dès les années 1990, il observe que la période de floraison du cerisier du Japon est toujours plus précoce. Il se décide alors à mener des études poussées sur le sujet. Afin de baser ses premières études sur un corpus très large, Yasuyuki Aono a constitué une immense base de données.
386 datations issues de vieux journaux et carnets, 87 issues de chroniques, 17 issues de la poésie japonaise, et le reste pris dans des relevés publiés dans la presse du quotidien, pour un total de 732 points de données, incluant certaines tirées des études antérieures […] Au final, nous avions des sources sûres pour les données la floraison pour 60.7 % des années couvrant toute la période (de l’an 801 à 2005).
Yasuyuki Aono et Keiko Kazui, dans leur article de 2007 (voir bibliographie) | traduction par Cédric Labrousse
Cet incroyable accumulation de dates n’a été possible que grâce au soin apporté par les historiens, poètes, acteurs de la vie politique ou encore journalistes et moines. Au fil des siècles, des japonais et japonaises ont noté les dates de floraison du cerisier japonais. C’est grâce à cette vaste couverture que Yasuyuki Aono a pu mettre en évidence un dérèglement progressif puis brutal de la floraison complète des des cerisiers du Japon.
Offrant son travail au grand public, Yasuyuki Aono a mis en ligne toutes ses données ! Elles sont disponibles ici !
Les travaux portant sur la floraison des cerisiers se sont multipliés depuis. En 2009, des coréens ont étudié le phénomène dans la péninsule. De plus, le sujet a dépassé les frontières de l’Asie. Très présent aux États-Unis, le cerisier du Japon est également suivi par des chercheurs. Les cerisiers du Japon à Washington fleurissent ainsi toujours plus tôt depuis des décennies.
Une évolution récente de la floraison du cerisier du Japon : un indice d’un changement climatique profond
Depuis désormais trois décennies, l’attention a été portée à la date de floraison du cerisier du Japon. Et en 2021, après déjà une avance toujours plus marquée, le pic de floraison a été atteint le 22 mars à Tokyo et le 26 mars à Kyoto. Du jamais vu depuis un millénaire de données collectées. Ces données ont fait les titres dans la presse internationale car un choc de stupeur a envahi le monde face à l’accélération brutale du phénomène déjà observé. Dans le même temps, le Japon avait connu une incroyable période de chaleur printanière (jusqu’à 25,5 °c dans le centre du pays), menant à cette floraison totalement déboussolée.
Le phénomène est si inquiétant que le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), la plus importante autorité scientifique sur la question du réchauffement climatique, suit désormais son évolution. Ainsi, dans son dernier rapport du 27 février 2022, le GIEC s’alarme (page 1879) de ces phénomènes qui se multiplient.
Ces données inquiétantes ici mises en valeur dans une infographie réalisée par l’équipe du Courrier International.
En outre, le climatologue Michael Mann, scientifique travaillant au sein de l’Université d’Etat de Pennsylvanie, rappelle que la floraison du cerisier du Japon est un phénomène identifiable et comparable à d’autres à travers le monde (autres plantes). Le changement climatique se vérifie, démontré par les cycles de floraison, réellement au milieu du XIXème siècle, au moment même où l’industrialisation avec le charbon s’impose…
Quel usage en classe du cerisier du Japon pour étudier le changement climatique ?
Le changement climatique ou encore dérèglement climatique (et certains parlent désormais aussi de dérive climatique) est une constante intégrée dans les cours d’Histoire, de Géographie et d’EMC depuis maintenant plusieurs vagues de programmes. Ainsi, dans le cadre des programmes de 2019 (lycées) et 2020 (collèges), je peux vous inviter à évoquer cet exemple du cerisier du Japon dans ces cadres, principalement comme élément anecdotique ou d’exemple concret :
- Au collège :
- L’exemple peut être évoqué en 5ème au sein du thème 3 en Géographie : Prévenir les risques, s’adapter au changement global.
- Au lycée :
- Le cas peut servir pour désigner le regard des sociétés dans le thème 1 en Géographie en Seconde générale : Sociétés et environnements : des équilibres fragiles.
Pour aller plus loin sur le cerisier du Japon et le changement climatique ?
Quelques ouvrages
- Collectif, Atlas du réchauffement climatique, publié comme numéro hors-série (n°84) aux éditions du Courrier International, en 2021.
Des articles à lire
- Un célèbre article phare sur le sujet : Yasuyuki Aono et Keiko Kazui, “Phenological data series of cherry tree flowering in Kyoto, Japan, and its application to reconstruction of springtime temperatures since the 9th century”, publié en 2007 au sein du International Journal of Climatology. A consulter entièrement ici (en anglais).
- Un premier article, en 1993, sur le sujet : Aono Y. et Omoto Y., “Variation in the March mean temperature deduced from cherry blossom in Kyoto since the 14th century”, publié en 1993 dans le Journal of Agricultural Meteorology, n°48, pages 635–638. A consulter entièrement ici (en anglais).
- Nikolaos Christidis, Yasuyuki Aono et Peter A Stott, “Human influence increases the likelihood of extremely early cherry tree flowering in Kyoto”, au sein de la revue Environmental Research Letters, Volume 17, N°5, en 2022. A consulter entièrement ici (en anglais).
- Jason Samenow, “Japan’s Kyoto cherry blossoms peak on earliest date in 1,200 years, a sign of climate change”, publié en mars 2021 dans The Washington Post. A consulter entièrement ici (en anglais) | Intégrant un entretien avec le climatologue Michael Mann.
- Sur les cerisiers suivis à Washington aux États-Unis : Uran Chung, Liz Mack, Jin I. Yun et Soo-Hyung Kim, “Predicting the Timing of Cherry Blossoms in Washington, DC and Mid-Atlantic States in Response to Climate Change”, publié en 2011 dans la revue PLoS ONE (N°6 | 11). A consulter entièrement ici (en anglais).
Documents officiels
- Rapport du GIEC, publié le 27 février 2022 : Climate change 2022, Impacts, adpatation and vulnerability. A consulter entièrement ici (en anglais).
Par Cédric LABROUSSE
Le 14 janvier 2023
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