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L’appel du 17 juin 1940 par Charles Tillon

Le 17 juin 1940, Charles Tillon lance un appel à la résistance dans un tract diffusé depuis les environs de Bordeaux. Rompant avec la ligne très aléatoire et attentiste du Parti Communiste dont il est membre, il devance le général de Gaulle. Mais c’est bien l’appel de ce dernier, le 18 juin depuis Londres, qui restera dans l’Histoire.

Redonnons donc sa place à l’appel de Charles Tillon. Et tentons de comprendre les motivations de cet homme qui deviendra ministre d’un de Gaulle devenu chef de la France libre !

L'appel à résister du 17 juin 1940 par Charles Tillon.
L’appel à résister du 17 juin 1940 par Charles Tillon | Un article par Cédric LABROUSSE | Crédits : Archives AFP.

Charles Tillon, une vie de rebelle et une soif de liberté

Résumer la vie de Charles Tillon, c’est un défi de taille. Je ne me risquerai donc qu’à évoquer quelques éléments de son parcours. Tout d’abord, il est né à Rennes, en 1897, dans une famille engagée politiquement à gauche. Dès l’âge de 16 ans, il part en usine et une vie d’ouvrier s’ouvre à lui. Cependant, en 1914, la Première guerre mondiale éclate. Charles Tillon est engagé, comme des millions d’autres français, dans le conflit. Il s’embarque alors sur le Guichen, un croiseur de guerre français engagé en Méditerranée. Alors que la guerre se termine en 1918, le Guichen se voit donner l’ordre de participer à la guerre contre la Russie soviétique. Tillon considère qu’il faut rentrer et une mutinerie débute en mai 1919. La répression est dure pour ces « mutins de la Mer Noire ». Ainsi, ramené en France, il est condamné au bagne en Vendée, puis au Maroc.

Un homme de conviction

A son retour en France, et plus particulièrement en Bretagne, il s’engage au sein du Parti Communiste. Loin d’être un sympathisant du bolchévisme à Moscou, il veut aider les ouvriers à améliorer leurs conditions de vie. Ainsi, à Douarnenez, il n’hésite pas à soutenir la révolte des ouvrières (Penn Sardin) des conserveries en grève en 1924. Par la suite, il est élu dans la commune. En 1932, ayant gravi les échelons, il est membre du comité central du Parti Communiste et monte en région parisienne. En 1936, il devient député de la Seine dans la vague du Front Populaire.

Charles Tillon en 1936.
Charles Tillon en 1936 | Crédits : fond ZVAB.

C’est alors que la guerre d’Espagne éclate. Charles Tillon considère que le sort des républicains espagnols est déterminant face à la montée des fascismes et du nazisme. C’est ainsi qu’il se rend sur place, dans le dernier réduit résistant à Franco en 1939. Il est arrêté à Alicante et renvoyé en France.

ANECDOTE : Un renvoi en France, depuis l'Espagne, rendu possible par l'ambassadeur français à Madrid auprès de Franco : un certain... maréchal Pétain ! Le même maréchal auquel s'opposera Charles Tillon.

L’appel du 17 juin 1940 : Charles Tillon et l’esprit de résistance

Tout d’abord, il faut rappeler deux étapes clés. Premièrement, c’est l’interdiction du Parti Communiste en septembre 1939. En effet, le parti est vu comme trop lié à Moscou, décourageant la guerre contre l’Allemagne. Charles Tillon s’était bien montré réticent au pacte germano-soviétique mais avait fini par accepter la ligne du Parti Communiste en France… Tout s’accélère quand ses 43 derniers députés, qui avaient créé un groupe sous un autre nom, furent menacés d’arrestation. Charles Tillon eut la possibilité de s’enfuir. Il perd son mandat, officiellement, le 21 janvier 1940.

Dans un second temps, c’est l’envoi de Charles Tillon, toujours membre du comité central du PCF, dans la région de Bordeaux. Il doit y réorganiser le parti en clandestinité, dans une région allant de La Rochelle à la frontière espagnole. Il est donc présent quand le dernier gouvernement avant la capitulation s’installe à Bordeaux, n’ayant fait que fuir depuis Paris face à l’avancée allemande…

L’appel du 17 juin 1940

Le 17 juin 1940, Charles Tillon, toujours en clandestinité, écoute la déclaration historique du maréchal Pétain. Ainsi, ce dernier annonce que les armées doivent cesser le combat et qu’il va engager des pourparlers. A l’idée même de s’effacer sous l’occupation du nazisme, Charles Tillon s’empresse de rédiger un court appel à refuser la capitulation. De fait, en quelques minutes, un tract est envoyé à d’autres militants et journaux…

Le voici :

Fac-similé du tract du 17 juin 1940 rédigé par Charles Tillon.
Fac-similé du tract du 17 juin 1940 rédigé par Charles Tillon | Source.

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TRANSCRIPTION :

Les gouvernements bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini : l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie et la Tchécoslovaquie… Et maintenant, ils livrent la France. Ils ont tout trahi.

Après avoir livré les armées du Nord et de l’Est, après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours de Hitler, livrer le pays entier au fascisme. Mais le peuple français ne veut pas de la misère, de l’esclavage, du fascisme. Pas plus qu’il n’a voulu de la guerre des capitalistes. Il est le nombre : uni, il sera la force.

Pour l’arrestation immédiate des traîtres !

Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes !

Peuple des usines, des champs, des magasins, des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins, aviateurs encore sous les armes,

UNISSEZ-VOUS DANS L’ACTION !

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Publié en tract, rediffusé dans des petits journaux locaux comme La France ou La Petite Gironde, cet appel est un ainsi un des premiers à s’opposer à la demande de cesser le combat du maréchal Pétain. 24 heures avant l’appel, réfugié à Londres, du général de Gaulle !

Cet appel ne sera pas repris par son propre parti, le Parti Communiste. Maurice Thorez, secrétaire général, et Jacques Duclos, secrétaire, en rédigeront et publieront un autre, fin juillet 1940. Loin d’être aussi engagé et virulent que celui de Charles Tillon, il n’évoque même pas l’idée de se battre… et ne fait quasiment qu’appeler à la paix, maintenant une position de soutien au pacte germano-soviétique.

IMPORTANT : Quelques mots sur le tract de Charles Tillon : Charles Tillon reprend le vocable des militants communistes. Il indique cependant bien son hostilité première au nazisme et au fascisme. Une phrase peut paraître étrange : "les 200 familles". Il s'agit là d'un concept politique radical de l'époque qui dénonçait la mainmise, sur la France, de quelques familles.

De la Résistance, suite à l’appel du 17 juin 1940, aux ministères

En continuation de son appel, Charles Tillon en publiera d’autres. Notamment le 18 juillet 1940. Refusant la ligne attentiste du secrétaire du Parti Communiste, Jacques Duclos, il encourage à une résistance claire des communistes. A l’instar de l’engagement d’un autre communiste hostile au pacte germano-soviétique : Gabriel Péri. Finalement, c’est l’invasion allemande de la Russie en 1941 qui va donner raison à Tillon et ses alliés dans le Parti Communiste. Duclos adopte le principe de rejoindre pleinement la Résistance.

Charles Tillon doit alors organiser la résistance armée pour le Parti Communiste. Il fonde les célèbres Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF), dont il devient le commandant en chef. A la tête de ces troupes, il s’associe aux autres mouvances de la Résistance qui le respectent. Un de ses derniers faits de gloire, en août 1944 : il lance l’appel aux FTPF d’engager la bataille pour la libération de Paris.

Brassard du résistant Emmanuel Marcel, au sein des FTPF.
Brassard du résistant Emmanuel Marcel, au sein des FTPF – Crédits : site d’Histoire de la ville de Lorgues.

Charles Tillon : l’ancien ouvrier et chef dans la Résistance devient ministre

En septembre 1944, il est appelé comme ministre par le général de Gaulle qui cherche à réunir toute la Résistance. Dans les gouvernements du général de Gaulle, il est ministre de l’Air, du 10 septembre 1944 au 21 novembre 1945, puis ministre de l’armement du 21 novembre 1945 au 20 janvier 1946. Après la démission de Charles de Gaulle, Tillon reste ministre jusqu’en 1947. Cependant, la Guerre froide s’amplifie entre Moscou et Washington, et les communistes sont exclus du gouvernement en France, alliée des États-Unis. Charles Tillon, indépendant au sein du Parti Communiste, est même exclu des cadres du PCF en 1952. En 1970, il s’emporte définitivement contre la ligne de son parti, dont il avait toujours la carte. Il en est finalement définitivement exclu.

Il rend son dernier souffle en 1993, à Marseille, devenu commandeur de la Légion d’honneur, toujours rebelle et libre d’esprit.

L’appel de Charles Tillon, un des premiers en France, n’est toujours pas reconnu comme le premier officiellement lancé par un cadre du Parti Communiste et il a été peu à peu oublié…

Pour aller plus loin sur Charles Tillon et l’appel du 17 juin 1940

  • Fabien TillonCharles Tillon : Le chef des FTP trahi par les siens, publié en 2021 aux Éditions du Seuil. A LIRE : un entretien avec Fabien Tillon, qui n’est autre que le petit-fils de Charles Tillon, sur la place de son grand-père dans l’Histoire.
  • Biographie officielle de Charles Tillon sur le site de l’Assemblée Nationale : à consulter ici.
  • Stéphane Courtois et Marc Lazar, Histoire du Parti communiste français, publié (mise à jour) en 2022 aux éditions PUF (Presses Universitaires de France).
  • Philippe RobrieuxHistoire intérieure du Parti communiste. Biographies, chronologie, bibliographie, publié en 1984 aux éditions Fayard.
  • Jean-Pierre Azéma, Antoine Prost et Jean-Pierre Rioux (directeurs), Le Parti communiste des années sombres (1938-1941), publié en 1986 aux éditons du Seuil.

Des ouvrages autobiographiques et d’histoire par Charles Tillon lui-même

  • Charles Tillon, Les FTP : soldats sans uniforme, publié en 1991 aux éditions Ouest France.
  • Charles Tillon, On chantait rouge, publié en 1977 aux éditions Robert Laffont. Recension par Jean-Louis Kreyts en 1979 à lire ici.

Cédric LABROUSSE

24 février 2023

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