HistoireNiveau SecondeSpécialité HGGSP

La bataille pour Cadix : l’Angleterre et l’or d’Espagne

Entre 1587 et 1797, l’Angleterre et l’Espagne se livrent bataille pour le port de Cadix. La cause : les richesses d’Amérique. En effet, des dizaines de milliers de tonnes d’or et d’argent, et autres marchandises recherchées et précieuses, affluent depuis les colonies espagnoles en Amérique vers la région de Séville, puis celle de Cadix. Faisant ainsi la fortune des rois d’Espagne dont les ambitions européennes vont aller grandissantes.

Face à cette montée en puissance de l’Espagne, l’Angleterre se dresse peu à peu comme une rivale acharnée. Déployant sa marine de guerre et des corsaires dans ce qui va devenir « la course » en Atlantique. Une guerre maritime autour de Cadix qui va durer près de deux siècles…

La bataille de Cadix : l'Angleterre et l'or d'Espagne
La bataille de Cadix : l’Angleterre et l’or d’Espagne – Un article inédit par Cédric LABROUSSE | Crédits : fond Wikimedia – 1stdibs.com – gravure de 1898 reproduisant une gravure de 1696.

L’or et l’argent des Amériques en Espagne

Dès le début du XVIème siècle, les navires espagnols reviennent chargés de métaux précieux depuis les côtes du Pérou, ou encore du Mexique. Des dizaines de milliers de tonnes d’or et d’argent dans les calles faisant voile vers l’Espagne. Tout d’abord, c’est Séville qui concentre ces richesses. Mais son port sur le fleuve Guadalquivir finit par s’ensabler. Par la suite, le port de Cadix prend la relève.

L’historien Juan Eslava Galán parle d’un véritable « fleuve d’argent » coulant sur Séville, puis Cadix. Ainsi, à Séville, tout navire devait passer par la Casa de Contratación, qui enregistrait les marchandises rapportées, les dernières informations géographiques et… prélevait 20 % de la valeur en droits de douane !

ANECDOTE : la fortune des navires espagnols revenant des colonies américaines est confirmée en 1985. Cette année là, le chercheur de trésor Mel Fisher découvre l'épave de la Nuestra Señora de Atocha. Ce navire espagnol avait coulé en 1622 près des côtes de la Floride. A son bord : plus d'un millier de lingots d'argent, plus de 180 000 pièces d'argent mais aussi une centaine de barres et disques d'or !

La première bataille de Cadix (1587) : un corsaire venu d’Angleterre veut bousculer l’Espagne

Francis Drake vise la flotte espagnole à Cadix

Au cours des années 1550-1580, les tensions se multiplièrent entre les couronnes d’Angleterre et d’Espagne. Pour commencer, la première devint la cheffe de file de la réforme protestante tandis que la deuxième devenait une puissance catholique affirmée. Ensuite, l’Espagne devenait une puissance impériale mondiale quand l’Angleterre restait une puissance mineure, à peine active à l’échelle européenne. Sans compter sur les attaques de corsaires anglais sur les navires espagnols. Enfin, c’est une histoire d’amour brisée : quand Mary, reine d’Angleterre, épouse du roi d’Espagne Philippe II, fut exécutée en 1558 par la nouvelle reine d’Angleterre : la célèbre Élizabeth Ière.

Pour Philippe II d’Espagne, toutes les raisons mènent à la guerre et à un projet fou : envahir l’Angleterre !

Les préparatifs débutent pour créer une Grande Armada. Elle est construite et installée dans deux ports : Lisbonne (le Portugal est uni à l’Espagne depuis 1580) et Cadix. Cependant, la nouvelle atteint Londres. La reine Élizabeth commande alors à Francis Drake, le plus fameux et brave des corsaires de la couronne, de mener une attaque sur Cadix. L’opération doit être double : il faut aussi s’emparer de la flotte du trésor espagnol qui convoie l’or et l’argent depuis les Amériques vers l’Espagne…

« Singeing the King of Spain’s Beard »

« J’ai roussi la barbe du roi d’Espagne« . C’est avec ce mot que reviendra de Cadix, quasi victorieux, le capitaine corsaire anglais Francis Drake.

Le 12 avril 1587, Francis Drake prend la mer depuis le port anglais de Plymouth. Il fait alors route vers Cadix. Le 29 avril 1587, il entre dans la baie de Cadix. Il tombe alors en pleine préparation de la flotte espagnole dont il débute le bombardement. Des navires espagnols tentent de l’affronter mais rebroussent chemin vers Cadix. Par la suite, des échanges de canonnades se poursuivent avant qu’il ne pénètre le port pour y incendier les navires espagnols à quai. Les espagnols réussissent cependant à empêcher un débarquement anglais.

Finalement, le 1er mai 1587, Francis Drake décide d’arrêter son raid destructeur sur Cadix. Près de 25 navires espagnols ont été détruits dans le port avec leurs cargaisons. Le raid sur Cadix est donc un succès. Mais deux points noirs : la flotte du trésor espagnol n’est pas capturée et Cadix n’a pu être capturée.

Francis Drake – Statue dans le port de Plymouth | Crédits : cliché en 2011 par Nilfanion dans Wikimedia.

Carte réalisée de la main même de Francis Drake pour décrire son raid sur Cadix – 1587 – Facsimilé de l’original.

Francis Drake ne rentra pas immédiatement en Angleterre. Sur la route du retour, il sema la destruction et le pillage contre les intérêts espagnols durant les mois de mai et juin 1587. De fait, ces attaques menèrent à une conclusion : l’invasion de l’Angleterre par l’Espagne était retardée d’une année

La bataille pour Cadix (1596) : l’Angleterre veut briser l’Espagne

Le raid sur Cadix, en 1587 a prouvé une chose : atteindre Cadix était possible. Ainsi, la marine britannique peut tenter de doubler l’opération : cette fois-ci, il s’agira de capturer la flotte du trésor espagnol. Cependant, cela nécessite de s’emparer de Cadix. Et la priorité n’est pas là quand, au début de l’été 1588, la Grande Armada espagnole, remise du raid de Francis Drake, se présente au large de l’Angleterre. Dans un retournement historique, la flotte anglaise met la Grande Armada en déroute.

Pour la reine Élizabeth, il faut utiliser cet avantage.

L’Angleterre arrache Cadix à l’Espagne

Francis Drake ne fut pas de cette nouvelle opération. En effet, envoyé dans les Caraïbes fin 1595, Francis Drake y meurt le 28 janvier 1596 après une série de raids contre les possessions espagnoles en Amérique du Sud. La reine appelle donc l’amiral Charles Howard, vainqueur de la Grande Armada.

Tout d’abord, deux objectifs sont fixés : capturer la flotte du trésor espagnol et briser la flotte espagnole, alors en reconstruction à Cadix. Ensuite, une alliance pour mener l’opération : les Provinces-Unies, en guerre contre l’Espagne, fournirent 20 navires. La flotte anglo-néerlandaise s’élance depuis Plymouth le 13 juin 1596. Ils sont aux portes de la baie de Cadix le 29 juin. Le port est envahi puis la cité prise le 30 juin 1596. Par la suite, ce furent deux semaines de pillages en parallèle d’une crise entre commandants anglais. Notamment entre Howard, qui voulait rentrer en Angleterre, et d’autres qui désiraient rester à Cadix.

L’opinion d’Howard l’emporta finalement. La flotte anglo-néerlandaise quitta Cadix le 15 juillet 1596. Quelques temps plus tard, ayant perdu son port principal et une partie de sa flotte, l’Espagne de Philippe II se déclara en banqueroute financière

La bataille de Cadix en 1596
La bataille de Cadix en 1596 – Gravure réalisée entre 1682 et 1684 par Joseph Mulder | Crédits : ici.

Les guerres entre l’Espagne et l’Angleterre : la bataille pour Cadix continue

Finalement, en 1604, cette guerre anglo-espagnole prend fin avec des négociations inédites permises par la mort des deux rivaux. En effet, Philippe II d’Espagne s’est éteint en 1598, suivi par la reine Élizabeth en 1603. Leurs successeurs, Philippe III d’Espagne et Jacques Ier d’Angleterre, conviennent de négocier la paix. Dans un premier temps, l’Espagne promet de ne plus lutter pour rétablir l’église chrétienne catholique en Angleterre, reconnaissant la monarchie protestante comme légitime. En échange, l’Angleterre accepte de ne plus soutenir les rebelles néerlandais.

Cet épisode de paix inédite devait se conclure par un mariage entre le fils de Jacques Ier, Charles Ier d’Angleterre, et l’infante d’Espagne Marie-Anne, fille de Philippe III. Cependant, tout ce projet échoue. Marie-Anne ne supporte pas Charles. Dès 1624, Charles veut la guerre avec l’Espagne, contre l’avis de son père…

La bataille de Cadix (1625) : l’Angleterre échoue face à l’Espagne

Tout se précipite dès mai 1625 : le roi Jacques Ier meurt subitement. En conséquence, Charles devient roi et demande alors au parlement de lui voter les pouvoirs pour mener la guerre contre l’Espagne. Il obtient les financements et lance son opération. La cible ? Cadix ! De nouveau, il faut briser ce port, si essentiel pour l’Espagne. C’est le commandant Edward Cecil qui prend la charge de l’opération. Le 1er novembre 1625, 100 navires anglais attaquent Cadix. Mais les opérations tournent au désastre : Cadix a été fortifiée par les espagnols, qui ont retenu de la prise de la ville en 1596. En outre, Edward Cecil est un piètre commandant qui accumule les erreurs.

L’opération tourne au désastre et à l’humiliation. Edward Cecil prend la décision d’abandonner l’attaque le 7 novembre. L’Espagne est victorieuse.

Le roi d’Angleterre, Charles Ier, est humilié. Forcé de signer le traité de Madrid en 1630.

La défense de Cadix - Francisco de Zurbarán
La défense de Cadix par Francisco de Zurbarán, huile sur toile réalisée en 1634 – Musée du Prado | Crédits : fond Wikimedia.

Les dernières batailles anglaises pour Cadix

Oliver Cromwell dans les pas de la reine Élizabeth

Arrivé au pouvoir en 1653, dans le courant de la révolution anglaise, Oliver Cromwell, proclamé Lord Protector, tourne sa politique extérieure contre l’Espagne. Notamment inspiré des légendes entourant les opérations des corsaires d’Élizabeth, il veut reprendre des opérations contre Cadix. Pour cela, il fait déployer une flotte chargée d’harceler la flotte espagnole dans l’Atlantique et près de l’Espagne. Ainsi, dès 1655, un blocus partiel est mis en place autour de Cadix. Le 9 septembre 1656, les anglais tentent un assaut sur la cité.

Au terme de violents combats, le commandant anglais Richard Stayner remporta une incroyable victoire. Avec des dizaines de tonnes d’argent capturées, l’opération fut un succès. Par la suite, Stayner quitta Cadix pour revenir vers l’Angleterre.

Les dernières opérations anglaises contre Cadix

Entre 1702 et 1797, les anglais menèrent trois autres opérations d’importance contre Cadix. En 1702, dans le cadre de la guerre pour le trône d’Espagne, les anglais visent de nouveau Cadix. Après un débarquement réussi, et près d’un mois sur zone, ils rembarquent, lassés des raids des troupes espagnoles bien décidées à les faire partir. La stratégie qui visait notamment à couper l’Espagne de ses colonies est un échec.

En juin 1797, deux lords commandants, dont le célèbre Horatio Nelson, assiègent Cadix par la mer. L’année précédente, l’Espagne avait signé une alliance avec la France révolutionnaire qui avait brisé une vaste alliance qui menaçait sa République récemment créée. Cette alliance franco-espagnole avait par ailleurs un objectif clair : affaiblir la puissance britannique. C’est dans le cadre de ce conflit que les anglais lancent un assaut sur Cadix. Après des semaines de blocus et de combats, les espagnols réussissent à repousser leurs adversaires, imposant une rare défaite dans la carrière de l’amoral Nelson

Conclusion

Cadix fut la porte d’entrée en Europe du commerce venu des Amériques. Se faisant, la cité portuaire devint un élément du pouvoir espagnol du XVIème au XIXème siècles. Cela ne pouvait qu’attiser les appétits de rivaux européens. Au premier rang desquels : l’Angleterre. La rivalité des deux puissances se concentra régulièrement sur Cadix qui démontra, très souvent, sa farouche résistance à toute occupation anglaise. Encore aujourd’hui, des chants populaires à Cadix célèbrent le courage de la cité.

Pour aller plus loin

  • Batailles navales, par R. G. Grant, publié aux éditions Flammarion en 2009
  • The Command of the Ocean: A Naval History of Britain, 1649­-1815, par N. A. M. Rodger, aux éditions W.W. Norton en 2005
  • Séville | XVIème siècle: de Colomb à don Quichotte, entre Europe et Amériques, le coeur et les richesses du monde, ouvrage dirigé par Carlos Martínez Shaw, publié aux éditions Autrement en 1992, avec de nombreux contributeurs dont Juan Eslava Galán.
  • Elizabethan Sea Dogs -1560-1605, par Angus Konstam, publié aux éditions Osprey en 2000
  • The theory of sovereign debt and Spain under Philip II, par James Conklin, publié en 1996 aux éditions de la Banco de Espana. Consultable ici (en anglais).

.

LABROUSSE Cédric

Le 15 décembre 2022

Cet article est une création inédite de Cédric LABROUSSE – Tout usage, toute citation, doit s’accompagner de la mention du nom de l’auteur et du lien vers cet article – Sous réserve de poursuites.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *