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L’Entente cordiale de 1904 entre la France et le Royaume-Uni

L’Entente cordiale est le nom donné à l’accord franco-britannique signé en 1904. De fait, ce qui fut à l’origine un accord, pour se partager les rôles et les influences sur des colonies et territoires dans le monde, devint une alliance sincère entre les deux nations, pourtant rivales depuis des siècles. En quelques années, Paris et Londres se rapprochent et tissent des liens.

L’accord de 1904, plus tard nommé Entente cordiale, est une étape essentielle dans l’alliance à venir entre les deux pays. Puisque cette alliance sera plus que bienvenue dans la guerre qui éclate en 1914.

Entente cordiale de 1904.
L’Entente cordiale de 1904 – La France et le Royaume-Uni scellent un accord historique| par Cédric LABROUSSE

Vers l’accord de 1904

Un premier rapprochement entre Napoléon III et la reine Victoria

Pour débuter, une première « Entente cordiale » est régulièrement rappelée. En effet, sous les règnes du roi Louis-Philippe Ier, puis de l’empereur Napoléon III, la France se lance vers un rapprochement avec l’Angleterre. Cette même Angleterre qui donna tant d’efforts pour vaincre et humilier… l’oncle de Napoléon III, Napoléon Ier. La reine d’Angleterre est alors Victoria. Avant tout, c’est donc un rapprochement sous Louis-Philippe Ier, qui se rend en Angleterre en 1844. Mais il est chassé en 1848 par une révolution en France. Élu président puis devenu empereur, Napoléon III acte un pas supplémentaire en mars 1854 : l’envoi de troupes françaises en Crimée (Ukraine actuelle) pour combattre les russes aux côtés des anglais. Afin de montrer que cette alliance est forte, il entame lui même un voyage historique en Angleterre : en avril 1855, l’empereur des français se rend auprès de la reine Victoria.

Entente cordiale avant 1904. Rare cliché de la visite de Napoléon III à Londres auprès de la reine Victoria - 1855.
Rare cliché de la visite de Napoléon III à Londres auprès de la reine Victoria – 1855 | Crédits : BearnesHamptonLittelwood – BNPS.

En août 1855, c’est la reine Victoria qui fait le déplacement et se rend à Paris à l’occasion de l’exposition universelle qui s’y déroule. L’empereur lui servira de guide et l’accompagnera tout le long de son séjour. Une visite durant laquelle la reine Victoria ira s’incliner devant le tombeau de Napoléon Ier, aux Invalides.

La prise de Sébastopol par les troupes françaises et anglaises, alliées, permet de confirmer cette première entente cordiale. Mais celle-ci ne durera pas et les tensions feront de nouveau leurs apparitions dans la rivalité pour les conquêtes coloniales.

Un lourd contexte européen où l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie s’organisent

Tout d’abord, il faut évoquer le contexte très lourd en Europe depuis 1871. La victoire de la Prusse sur la France de Napoléon III crée un nouvel équilibre. L’Allemagne se voit en puissance montante en Europe. En 1879, une première étape avec un traité entre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie renforce les deux pays en une alliance. Le 20 mai 1882, l’Italie rejoint cette alliance : on va parler de Triplice. Pour les français, et les russes isolés à l’est, la situation est jugée à risque, menaçante.

Pour les britanniques, c’est le discours colonial allemand, qui se renforce dès 1891, qui sonne comme un danger. L’empereur allemand assure que l’avenir de son pays est sur l’eau. Une menace claire à la plus grande puissance maritime du monde : le Royaume-Uni.

Dès lors, France et Royaume-Uni vont tenter, malgré une grave crise, de dialoguer pour créer une balance contre l’alliance menée par Berlin.

La crise de Fachoda (1898) et l’évitement de peu d’une guerre franco-britannique

Je ne reviendrai pas en détail ici sur l’ensemble de la crise de Fachoda (dont vous pouvez trouver mon article en cliquant ici). Cependant, il s’agit de rappeler rapidement l’évènement : en 1898, au cœur de l’Afrique, la mission d’un officier de l’armée française arrive dans un petit village, Fachoda. Il y déploie le drapeau français. Quelques semaines plus tard, c’est un lord britannique qui arrive sur zone, réclamant celle-ci au nom de la couronne britannique. Les deux capitales, Paris et Londres, sont prêtes à la guerre avec des discours très nationalistes de part et d’autre. Finalement, la France recule et demande à son officier de quitter les lieux.

Le ministre des affaires étrangères de la France, Théophile Delcassé, veut transformer le choc des évènements de Fachoda en élément de dialogue, voir de retournement complet. Pour cela, il débute des négociations, dès la fin de l’année 1898, avec Londres…

L’Entente cordiale : se mettre d’accord

Un roi d’Angleterre partisan d’un rapprochement : Edouard VII

On ne peut évoquer l’Entente cordiale sans parler d’Edouard VII, fils de la reine Victoria, qui en fut le principal soutien. Francophile, il a vécu à Paris où il a connu les soirées et bals de la capitale française quand il était prince. Amoureux de la culture française, il ne conçoit pas que les tensions entre les deux pays ne puissent pas être dépassées. Festif, il fréquente les actrices célèbres comme Sara Bernhardt et effectue des séjours sur la côte d’Azur.

Mais la géopolitique va accélérer les choses de cet homme devenu roi en 1901. Il est alors très âgé car la reine Victoria a vécu bien longtemps. Mais il a eu le temps de voir le paysage européen se transformer. L’Allemagne se renforce et a des alliés. L’Angleterre doit donc se trouver, elle aussi, des alliés. Pour entamer un rapprochement avec la France qu’il connaît si bien, il réalise une première visite en tant que roi en France en 1903. Occasion durant laquelle il est accueilli par le président de la République, Emile Loubet. La visite n’est pas que représentative. Les négociations continuent ! Le ministre Delcassé poursuit le dialogue.

Entente cordiale avant 1904. Visite du roi d'Angleterre, Edouard VII, à Paris, en 1903, ici avec le président Loubet.
Visite du roi d’Angleterre, Edouard VII, à Paris, en 1903, ici avec le président de la République, Emile Loubet | Crédits : Roger Viollet.

L’accord sur le Maroc

Deux points sont à régler en priorité. Le premier, sur le Maroc. Le second, nous y viendront ensuite, sur l’Egypte. Au Maroc, la France amplifie sa prise en main progressive sur le pays. La France veut y établir de facto un protectorat, amplifiant son influence sur le continent africain où la colonisation avance rapidement. Le Maroc est un sujet de discorde car bien situé sur les routes commerciales côtières africaines : les britanniques veulent pouvoir y faire des affaires. En conséquence, la France répondra qu’elle veut une pareille situation en Egypte…

Enfin une solution sur l’Égypte

Car c’est l’enjeu principal. La crise de Fachoda, en 1898, qui avait failli mener la France et le Royaume-Uni à la guerre, avait confirmé le contrôle de l’Egypte par le Royaume-Uni. Mais ce contrôle était contesté par la France qui voulait droit de passage dans le canal de Suez dont elle avait largement participé à la construction. C’est là aussi un accord inédit : la France, en 1904, accepte de reconnaître définitivement la domination anglaise en Egypte. En échange de quoi, elle obtient bien le droit de se rendre, librement, dans le canal de Suez et les ports égyptiens.

L’entente cordiale est née le 8 avril 1904

Pour mettre par écrit ces décisions, qui s’étendront aussi à l’Asie du Sud-Est, il faut agir. En conséquence, l’ambassadeur de France, Paul Cambon, et le secrétaire britannique aux affaires étrangères, le marquis de Lansdowne, rédigent, avec des conseillers, les grandes lignes de l’accord du 8 avril 1904. Trois déclarations sont signées et une convention associée. Ces trois déclarations concernent l’Egypte, le Maroc et un accord de respect. La convention concerne Terre-Neuve (en Amérique). C’est la fin de querelles coloniales vieilles de plusieurs décennies.

L’accord est célébré partout en France et au Royaume-Uni.

En outre, une anecdote. Si l’accord est rapidement titré comme une Entente cordiale par la presse, ces deux mots n’apparaissent… jamais dans les déclarations signées le 8 avril 1904.

Signatures de Cambon, pour la France, et Lansdowne pour le Royaume-Uni, le 8 avril 1904.
Signatures de Cambon, pour la France, et Lansdowne pour le Royaume-Uni, le 8 avril 1904.
Un du journal le Petit Parisien du 26 novembre 1905 - Entente cordiale
Lors d’une célébration londonienne, un char traverse la ville en novembre 1905 aux couleurs de l’Entente Cordiale | Crédits : Le Petit Parisien, numéro du 26 novembre 1905

De l’Entente cordiale à l’alliance qui combattra en 1914

La consécration lors de l’exposition de 1908

Le symbole de cette Entente cordiale va trouver sa force dans l’exposition franco-britannique qui est organisée à Londres en 1908. Une gigantesque exposition prend place dans la capitale avec des attractions incroyables. Ainsi, des pavillons français et britanniques présentent les productions des deux pays et de leurs colonies. Cartes postales, souvenirs, tout est fait pour marquer l’évènement. 8 millions de visiteurs se pressent entre mai et octobre 1908 !

L’évènement permet une incroyable couverture par les artistes. Par exemple, la chanteuse Florrie Forde, d’origine australienne, entonne une chanson sur l’exposition.

Rare enregistrement de la célèbre chanson « Oh, George, Tell Them To Stop The Flip Flap », chantée par Florrie Forde en 1908 à l’occasion de l’exposition. La chanson mentionne le « Flip Flap », une machine avec deux bras balançant les visiteurs, engin qui donnait régulièrement des nausées.

Un resserrement toujours plus fort des liens entre le Royaume-Uni et la France

Par la suite, les liens se renforcent entre les deux pays. En effet, alors que les années passent, les tensions augmentent en Europe. Beaucoup évoquent le spectre d’une guerre. Pour la France et l’Angleterre, l’Entente cordiale devient rapidement une alliance. En 1907, le Royaume-Uni veut mettre à plat ses relations avec la Russie du tsar Nicolas II, et repartir sur de bonnes bases. Un accord est signé, là aussi. Ainsi, par cumul de l’accord entre France et Russie, puis entre Royaume-Uni et France, et enfin Royaume-Uni et Russie, une « Triple Entente » se forme. Cette Triple-Entente sera officielle au moment du déclenchement du premier conflit mondial en 1914.

Un héritage persistant bien des années après

Pour conclure, il faut évoquer la poursuite de cette Entente. La victoire de 1918 renforce l’unité entre Paris et Londres. Si le danger de la guerre s’éloigne un temps, français et anglais sont de nouveau ensemble pour tenter de négocier, naïvement, avec Adolf Hitler, arrivé au pouvoir en 1933. Ils sont encore ensemble à se battre en 1939 quand ils déclarent la guerre au Troisième Reich. Enfin, c’est la France Libre du général De Gaulle qui trouve refuge à Londres. Et une rencontre avec le roi Georges VI, petit-fils d’Edouard VII, sera soulignée comme l’Entente cordiale…

Entente cordiale de 1904 renouvelée par De Gaulle et le roi d'Angleterre, en 1941.
Le général De Gaulle, alors réfugié à Londres, et le roi d’Angleterre Georges VI, renouvelant l’Entente cordiale en 1941 | Couverture d’« Entente cordiale », n° 5 d’Entente, un mensuel bilingue publié par the Franco-British Publishing Company, Ltd., en collaboration avec l’association des Français de Grande-Bretagne, en 1941. Source.

Conclusion sur l’Entente cordiale de 1904 (pour les élèves notamment)

L’Entente cordiale a joué un rôle considérable dans le rapprochement entre le Royaume-Uni et la France. Cet accord de 1904 s’inscrit dans la construction des alliances en Europe après la guerre de 1870. Finalement, l’Entente cordiale pose les bases d’alliances et accords militaires entre les deux pays. Une décision qui leur sera bien utile en 1914.

Sources originales sur l’Entente cordiale

Pour la source originelle du traité signé par la France et le Royaume-Uni en 1904, sur le site de la Digithèque de matériaux juridiques et politiques de l’Université de Perpignan : cliquez ici.

Bibliographie sur l’Entente cordiale de 1904

Quelques lectures pour amplifier votre connaissance sur les enjeux et la naissance de cette Entente cordiale :

  • SUR UNE VISION D’ENSEMBLE : L’Entente cordiale de Fachoda à la Grande guerre – Dans les archives du quai d’Orsay, dirigé par Maurice Vaïsse, publié en 2004 aux éditions Complexe.
  • SUR LES ORIGINES : Aux origines de l’Entente cordiale – La reine Victoria à l’exposition universelle de Paris, 17-18 août 1855, par Frédéric Medard, publié en 2015 aux éditions Anovi.
  • L’Entente cordiale – Cent ans de relations culturelles franco-britanniques (1904-2004), dirigé par Diana Cooper-Richet et Michel Rapoport, publié en 2004 aux éditions Creaphis.
  • L’Entente cordiale, par Gilbert Martineau, publié en 2004 aux éditions France-Empire

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Des lectures complémentaires pour les collègues !

LABROUSSE Cédric, le 5 octobre 2022

Un article inédit par Cédric Labrousse – Tous droits réservés sur les écrits – Merci de citer l’auteur, le titre et joindre le lien vers cet article si usage.

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BONUS : Un ancien reportage, d’Anthony Rowley et David Hover, L’Entente cordiale, revenant sur le processus de cet évènement, sorti en 2004 sur France 5.

SECOND BONUS : le film Entente cordiale, par Max Linder, sorti en… 1912. Il n’évoque pas l’accord franco-britannique mais en reprend le surnom pour évoquer le voyage d’un britannique à Paris :

2 réflexions sur “L’Entente cordiale de 1904 entre la France et le Royaume-Uni

  • Emma Chérier

    Je me suis longtemps demandée comment la France et l’Angleterre s’étaient retrouvés alliés au XXeme siècle après des siècles de guerre. Grâce à votre article j’ai enfin ma réponse. C’est très bien écrit et bien expliqué.

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    • Merci énormément pour ce commentaire. C’est un évènement en effet déterminant dans la structure des alliances qui se nouent au début du XXème siècle. Il méritait bien d’avoir un article complet sur le sujet.

      Répondre

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