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Jeanne de Flandre : femme chef de guerre en Bretagne

Jeanne de Flandre (1295-1374) est célèbre pour avoir défendu les intérêts de la famille de son époux et de son fils, les Montfort, au cœur de la Guerre de succession de Bretagne qui éclata dès 1341. Loin de n’avoir qu’un rôle secondaire, les chroniqueurs médiévaux évoquent même son engagement forcené pour défendre les intérêts des Montfort pour le trône ducal breton. L’immense partie des informations que nous possédons sur cette femme proviennent de ces auteurs dont le plus célèbre est Jean Froissart.

Jeanne de Flandre, chef dans la guerre de succession de Bretagne
Jeanne de Flandre, chef dans la guerre de succession de Bretagne – Article inédit de Cédric LABROUSSE | Crédits : Ugo Pinson – Musée de Hennebont – Sigilla.org

Encore fit cette comtesse de Montfort une très hardie emprise, qui ne fait mie à oublier, et que on doit bien recorder à hardi et outrageux fait d’armes.

Jean Froissart, Chroniques, Livre I, chapitre CLXXIV, vers 1460

Dame de Flandre, comtesse de Montfort : Jeanne, au cœur de la guerre à venir en Bretagne

Un mariage politique avec l’héritier du trône ducal de Bretagne

Jeanne de Flandre est née en 1295, dans la famille des comtes de Nevers. C’est un mariage organisé au sein de la noblesse qui l’attendait. On peut d’ailleurs s’étonner du temps écoulé avant l’évènement. Car il faut attendre 1329, à l’âge avancé de 34 ans pour l’époque, pour voir Jeanne mariée à un seigneur breton, Jean de Montfort. Le mariage eut lieu à Chartres. Elle revient aux côtés de son mari en Bretagne. Par la suite, elle lui donna deux enfants : Jean (né en 1339) et Jeanne (née en 1341).

Par ailleurs, son mariage n’est pas un mariage de seconde zone : en épousant Jean de Montfort, elle entrait dans la puissante famille des ducs de Bretagne. De par son père, Arthur II, duc de Bretagne mort en 1312, Jean de Montfort était le demi-frère du du Jean III. Jeanne de Flandres se retrouvait donc belle-sœur du duc de Bretagne.

Sceau de Jeanne de Montfort - 1341
Sceau de Jeanne de Flandre, comtesse de Montfort – 1341 | Crédits : Sigilla.org.

Sur ce rare sceau de Jeanne de Flandre, on peut lire : S : IEHANNE : DE : FLADRES : ET : DE : NEVERS : COTESSE : D’ : MONTFORT.

On peut notamment voir les deux blasons symbolisant son appartenance, non seulement aux Flandre (blason à droite), à la maison de Montfort (blason à gauche).

Le début d’une grave crise politique en Bretagne : la guerre arrive et Jeanne de Montfort soutient son époux

Tout d’abord, Jean de Montfort n’attenta jamais à prendre le pouvoir en Bretagne contre son demi-frère. Mais il savait une chose : Jean III n’avait pas de fils. Il était donc, selon lui, l’héritier légitime à venir sur le trône ducal. Proche du roi de France, le duc Jean III se retrouve cependant dans une position compliquée quand la Guerre de Cent Ans débuta. Cependant, il prit le parti de la France, envoyant les bâteaux bretons soutenir la flotte française durant la bataille de l’Écluse (1340). Mais l’inattendu se produit : Jean III s’éteignit en 1341. Sans héritiers directs.

Dès lors, la rivalité pour le trône s’engageait. D’un côté, Jean de Montfort. De l’autre, Charles de Blois, époux de Jeanne de Penthièvre, nièce de Jean III. Charles de Blois qui n’est autre que le neveu de Philippe VI, roi de France ! Ainsi, dans le conflit qui s’installait, Charles de Blois reçut bien évidemment le soutien du parti français. Jean de Montfort, lui, resta en Bretagne et se fit reconnaître dès 1341 à Nantes. Puis, se rendant en Angleterre, Jean de Montfort reçut le soutient du roi Édouard III. En effet, le roi d’Angleterre comprend son intérêt dans la guerre de succession de Bretagne pour affaiblir son rival français.

Jean de Montfort et son épouse, Jeanne de Flandre, recevant les hommages à Nantes en 1341, après la mort de son demi-frère le duc Jean III de Bretagne
Jean de Montfort et son épouse, Jeanne de Flandre, recevant les hommages à Nantes en 1341, après la mort de son demi-frère le duc Jean III de Bretagne | Crédits : Reprise d’une enluminure des chroniques de Jean Froissart – BNF.

En septembre 1341, le roi de France reconnut finalement Charles de Blois comme duc de Bretagne. Par la suite, aidé d’alliés, dont le duc de Normandie, Charles de Blois s’empara de nombreuses places fortes en Bretagne. Jean de Montfort fut même capturé et transféré à Paris

Jeanne de Flandre : chef de guerre pour la succession en Bretagne

L’engagement de Jeanne de Flandre dans la guerre pour la succession de Bretagne

En octobre 1341, la Bretagne était divisée : les terres et cités acquises à Charles de Blois face à celles répondant de Jean de Montfort. Tout aurait pu s’arrêter là sans l’opiniâtreté de Jeanne de Flandre, l’épouse de Jean de Montfort ! Désormais, elle allait défendre les droits de son époux tout autant que son fils, Jean. Elle se rendit notamment à Rennes pour rappeler à la résistance contre les français et leurs alliés. C’est finalement à Hennebont qu’elle s’installa avec des centaines d’hommes d’armes fidèles.

Quand la dessus dite comtesse eut ainsi reconforté ses amis et ses soudoyers qui étoient à Rennes, elle alla par toutes ses bonnes villes et forteresses, et menoit son jeune fils avec elle, et les sermonnoit et reconfortoit, en telle manière que elle avoit fait de ceux de Rennes ; et renforçoit les garnisons de gens et de quant que il leur falloit ; et paya largement partout, et donna assez abondamment partout où elle pensoit qu’il étoit bien employé. Puis s’en vint en Hainnebon sur la mer, qui étoit forte ville et grosse et fort châtel ; […]

Jean Froissart, Chroniques, Livre I, chapitre CLVIII, vers 1460

La comtesse de Montfort se transforma alors de princesse en chef de guerre, commandant les troupes d’Hennebont. Puis, au mois de mai, une armée soutenant Charles de Blois arriva à Hennebont et mis le siège sur la ville. Jeanne se refusa à céder !

Jeanne de Montfort résistant au siège d'Hennebont (1342)
Jeanne de Flandre résistant au siège d’Hennebont (1342) | Crédits : enluminure issue des Chroniques de Jean Froissart. Gallica / BNF.

La résistance de Jeanne durant le siège d’Hennebont (1342)

Le siège s’éternisait. Plusieurs semaines s’écoulèrent. Jeanne de Flandre maintenait le moral des troupes. Elle espérait notamment une aide anglaise qui remonterait la rivière pour chasser les assiégeants. C’est alors que les chroniqueurs de l’époque, ainsi que la tradition populaire, rapportent la plus célèbre action de Jeanne de Flandre.

Par une nuit, elle sortit à la tête d’une troupe et incendia le campement des partisans de Charles de Blois ! Le feu dévora peu à peu les tentes et les réserves. Cependant, impossible de revenir directement à Hennebont pour Jeanne qui se dirigea vers Brest. De là, elle put revenir dans la cité, mais s’y retrouva de nouveau assiégée.

Or, Jeanne-la-Flamme souriait le lendemain, à sa fenêtre,
En jetant ses regards sur la campagne, et en voyant le camp détruit.
Et la fumée qui s’élevait des tentes toutes réduites en petits monceaux de cendre ;
Jeanne-la-Flamme souriait […].

Théodore Hersart de La Villemarqué, « Jeanne de Montfort », dans le Barzaz Breiz, en 1846

Finalement, à la mi-juin, les voiles aux couleurs de la couronne d’Angleterre firent leur apparition sur le Blavet, la rivière menant au château d’Hennebont. Ce fut le signal tant attendu. Sir  Walter Manny arrivait enfin ! La troupe de Charles de Blois abandonna le siège.

Une fin mystérieuse et encore en débat chez les historiens

Le voyage en Angleterre, sans retour

Le conflit ne trouvait cependant pas de vainqueur clair. En janvier 1343, à Malestroit, les deux camps se réunirent pour discuter sur demande du Pape. Et en présence des rois de France et d’Angleterre ! Les rois Philippe VI et Édouard III, en personnes, pour décider du sort de la Bretagne. Ainsi, une trêve est signée. En outre, Jean de Montfort devait être libéré. Sans les efforts de Jeanne de Montfort, certes avec l’aide de l’Angleterre, il apparaît peu probable que les Montfort auraient pu être associés. Enfin, les rois doivent quitter la Bretagne : Philippe VI regagnait la France.

Édouard III repartit aussi. Mais pas seul : Jeanne de Flandre l’accompagna en Angleterre, avec ses deux enfants. Elle ne reviendrait jamais de ce voyage. Pendant ce temps, ce furent des nobles anglais qui prirent en charge la défense des places fortes des Montfort. Par la suite, la guerre reprit de plus belle. Jean de Montfort est certes libéré en 1344 mais il mourut en 1345. Son fils, qu’il avait eu avec Jeanne de Flandre, devenait l’héritier ! Les anglais refusèrent cependant la tutelle à Jeanne de Flandre : elle était désormais enfermée dans le château de Tickhill.

Les sources comme les historiens divergent sur la réalité des raisons de l’enfermement de Jeanne de Flandre. Le breton Arthur de la Borderie assure que sa folie avait forcé les anglais à l’emprisonner. Plus récemment, il est convenu d’imaginer que le roi Édouard III l’enferma pour maintenir la Bretagne sous son pouvoir.

L’obstination d’une femme qui donna le trône à son fils : Jean devient Jean IV de Bretagne !

Jeanne de Flandre ne revint jamais en Bretagne. Elle mourut probablement en 1374. Cependant, elle vécut assez longtemps pour voir son fils, Jean IV, devenir duc de Bretagne en 1365 au terme d’une guerre qui aura duré 24 ans ! Reconnaissant de ce qu’elle avait fait pour lui, son fils l’avait ainsi revu en 1360. Jeanne de Flandre est désormais entrée dans l’Histoire qui croise parfois avec la légende traditionnelle. Elle est revendiquée par les bretons, ce peuple dont elle ne fut jamais duchesse, comme une de leurs grandes figures de résistance.

Pour aller plus loin sur Jeanne de Flandre et la guerre de Succession de Bretagne

Sources anciennes

  • Jean (Jehan) Froissart, Chroniques, Livre I, publiées en 1469. Retranscription par J. A. C. Buchon, en 1835 chez l’éditeur A. DESREZ : ici consultable entièrement.

L’histoire de Jeanne de Flandre par le Barzaz Breizh

  • Théodore Hersart de La Villemarqué, « Jeanne de Montfort », dans le Barzaz Breiz, en 1846. Consultable : ici.

Ouvrages pour le contexte

  • Joël CornetteHistoire de la Bretagne et des Bretons, publié aux éditions du Seuil en 2008.
  • Jean-Christophe Cassard,  La Guerre de Succession de Bretagne, publié aux éditions Coop Breizh en 2006.

Sur Jeanne de Flandre – Jeanne la Flamme

  • Frédéric Morvan1342 : Jeanne de Flandre, héroïne d’Hennebont, 2009, en ligne sur Tudchentil.org, consulté le 22 décembre 2022, à consulter entièrement : ici.

Travaux récents

  • Erika Graham-Goering, Michael Jones, Bertrand Yeurc’h, Philippe CharonAux origines de la guerre de Succession de Bretagne. Documents (1341-1342), Rennes, publié aux Presses universitaires de Rennes – Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne en 2019.
  • Martine FabreHéraldique médiévale bretonne. Images personnelles (vers 1350-1500). Armoriaux, sceaux, tombeaux : étude et corpus, publié aux Presses universitaires du Septentrion en 1993.

Pour le plaisir d’une lecture sur Jeanne de Flandre dans la guerre de succession de Bretagne : une bande-dessinée sympathique…

  • Thierry Jigourel, Nicolas Jarry (scénaristes), Gwendal Lemercier (illustrateur), Erwan Seure-Le-Bihan (coloriste), Ugo Pinson (illustration de couverture), BREIZH – Tome 5, La Guerre des deux Jeanne, publié aux éditions Soleil en 2017.
Breizh | La Guerre des Deux Jeanne
Breizh | La Guerre des Deux Jeanne, aux éditions Soleil.

Un article par Cédric LABROUSSE

Le 22 décembre 2022

Un article inédit par Cédric LABROUSSE – Tous droits réservés quant à sa production.

Tout usage doit associer la mention de l’auteur et du lien vers cet article – Sous réserves de poursuites.

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BONUS

Le chant Jeanne la Flamme | Janedig ar Flamm (en breton). De La Villemarqué assure l’avoir collecté comme chant populaire dans le pays de Plounevez-Quintin. Fiche informative : ici. Les paroles complètes (en français et en breton) : ici.

Jannedik-flamm a responte,
Demeuz beg ann toural, neuze :
°
— Ne ked ann heiez vo paket,
Ar c’hoz-bleiz ne lavarann ket.
°
Ma en deuz henoaz anoued,
He doull d’ezhan a vo tommet. —

Oa ket peurlavaret he ger,
Pa oa deut d’ann traon, hag hi ter ;
°
Hag eur c’horfkenn-houarn a wiskaz,
Hag eunn tok-houarn du a lakaz ;
°
Hag eur glenv dir lemm a dapaz.
Ha tri c’hant den a zibabaz,
°
Hag, eur skod-lan ru enn he dorn,
A ez mez ar ger dre eur c’horn,

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