Julius Nepos, le véritable dernier empereur romain d’Occident
Julius Nepos est connu pour être empereur romain d’Occident du 24 juin 474 au 28 août 475. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est, officiellement, le dernier véritable empereur romain. Forcé par les circonstances d’abandonner son trône au très jeune Romulus Augustule, Julius Nepos restera l’unique empereur en Occident reconnu par l’empire d’Orient jusqu’en 480. Dans cet article, je vous invite à découvrir le destin ignoré du véritable dernier empereur d’Occident.
Les origines de Julius Nepos
Nous ne connaissons que peu d’éléments sur la naissance et la jeunesse de Nepos. Mais quelques éléments nous sont parvenus, notamment sur sa famille. Il est né en Dalmatie, une province alors dépendante de l’empire romain d’Orient mais indépendante sous le règne d’un officier romain, Marcellinus. On le sait fils d’un certain Nepotianus, officier romain. Ainsi, Nepotianus était magister militum, maître des soldats, sous le règne de l’empereur Avitus. Vers l’an 468, Julius Nepos lui succéda à cette charge de commandement mais surtout au poste de gouverneur en Dalmatie. Marcellinus avait été tué en Sicile.
Par ailleurs, loin d’être une personnalité marginale, il épousa la nièce de l’impératrice Aeila Verina, femme de l’empereur d’Orient, Léon Ier. Proche du pouvoir impérial de Constantinople, Nepos était prêt à gagner encore plus d’influence.
Un règne impérial “inattendu” sur Rome et qui fut court
Vers le pouvoir impérial en Occident
A Rome, l’empire d’Occident expirait ses derniers souffles. Et les installations “barbares” s’étaient multipliées en Gaule, en Hispanie et en Afrique du Nord, ainsi qu’en Italie. Dans ce chaos, c’était le chef burgonde, Gondovald, qui tenait le pouvoir. Magister militum d’Italie, Gondovald imposa un homme à ses ordres, Glycérius, comme empereur. Mais Constantinople ne l’entendit pas ainsi et refusa toute reconnaissance à ce Glycérius.
Après qu’Anthémius eut été tué à Rome, Zénon, par l’intermédiaire de Domitianus, nomma Nepos, fils de Nepotianus, empereur à Ravenne, après lui avoir donné sa nièce en mariage. Nepos, ayant pris légitimement l’empire, déposa Glycérius, qui s’était lui-même imposé à la manière d’un tyran, et fit de lui un évêque de Salone, en Dalmatie.
Jordanes, Histoire des Goths, VIème siècle | traduction personnelle. Source en latin : ici.
Léon Ier considéra alors d’intervenir directement dans les affaires romaines. En 474, il demanda à Julius Nepos de faire voile vers Rome et d’y prendre le pouvoir. Ainsi, Léon Ier le reconnaîtrait immédiatement empereur. Débarquant à Portus Augusti en juin de l’an 474, port jumeau d’Ostie sur le Tibre, à quelques kilomètres de Rome, Julius Nepos s’y fit acclamer empereur. Glycérius, seul depuis le départ de Gondovald pour la Gaule (où ce dernier devint roi des Burgondes), ne put qu’accepter cet état de fait. Les sources divergent sur le sort de Glycérius, qui semble avoir été envoyé à Salone, en Dalmatie pour y devenir… évêque.
Dans les jours qui suivirent, le Sénat à Rome proclama Julius Nepos comme empereur. Cependant, l’acclamation par la foule à Rome lui manqua. La cité le considérant comme un étranger.
Le règne sur les restes d’un empire moribond
A peine le titre impérial obtenu, Julius Nepos est confronté à un danger important pour l’empire. Le puissant chef des Wisigoths, Euric, menait des offensives tous azimuts en Gaule. Tout d’abord, la résistance locale, notamment chez les Arvernes où l’évêque Sidoine Apollinaire participait à l’effort de guerre, tint bon. Mais elle fut contrainte de demander des renforts à Julius Nepos. Ce dernier, trop faible, ne put agir. Il engagea alors des négociations avec Euric. Dans un second temps, Julius Nepos en vint à reconnaître la prise de contrôle des Wisigoths, aussi bien en Gaule qu’en Espagne. L’empire s’émiettait toujours davantage.
L’autre erreur de l’empereur fut la nomination, à la charge de magister militum, d’Oreste. Notable romain, ancien secrétaire d’Attila, Oreste était ambitieux. Profitant du statut offert par Nepos, il se retourna contre ce dernier. Réunissant des troupes à Rome, Oreste marcha vers Ravenne, où l’empereur s’était installé. Refusant le conflit ouvert, Julius Nepos prit la fuite vers sa Dalmatie natale. Ainsi, Oreste restait seul maître de l’Italie et imposa son fils, Romulus, comme empereur romain d’Occident. Le fameux Romulus Augustule, considéré par beaucoup comme le dernier empereur romain d’Occident.
L’exil en Dalmatie
Chaos en Occident et en Orient
A Constantinople, le chaos politique régnait également. A la mort de Léon Ier, puis de son petit-fils Léon II, c’est Zénon (gendre de Léon Ier et père de Léon II) qui avait pris le pouvoir. Cependant, il fut victime d’un coup d’État mené par Basiliscus en 475. Chassé du pouvoir pendant dix huit mois, Zénon mena une reconquête du trône qui se conclut par un succès en 476.
Dans le même temps, un puissant chef “barbare” du nom d’Odoacre fut proclamé roi d’Italie par ses troupes après une victoire militaire qui avait vu la décapitation d’Oreste. A la tête de son armée, Odoacre marcha sur Ravenne. De fait, la chute de la cité mena à l’arrestation du jeune Romulus Augustule, le 4 septembre de l’an 476. Odoacre se tourna alors immédiatement vers Constantinople où Zénon avait repris les rènes afin d’être légitimé à la tête de Rome…
A NOTER : Ainsi, et encore aujourd'hui, la date 4 septembre de l'an 476 (parfois le 28 août de l'an 476 avec la mort d'Oreste) est considérée comme la chute de l'empire romain d'Occident avec la fin du (très bref) règne de Romulus Augustule...
Julius Nepos, de nouveau empereur jusqu’en… 480
Julius Nepos, quant à lui, était redevenu le maître de la Dalmatie. Et il continua toujours de se revendiquer comme le véritable empereur légitime, reconnu par Constantinople. Ayant eu vent de la chute de Romulus Augustule et de la vacance du pouvoir impérial à Rome, Nepos envoya une délégation à Zénon. Son objectif était simple : être rétabli au pouvoir en Italie. Dans le même temps, Odoacre avait aussi envoyé des messagers.
Zénon devait à la fois ménager la logique impériale et le réel de la situation en Italie. Il mit alors en place une décision double : il reconnut Odoacre comme maître de l’Italie mais ce dernier se devait d’accepter la gouvernance impériale de Julius Nepos. Ce qu’Odoacre… accepta. Du moins, dans l’apparence car jamais Nepos ne revint à Rome. Mais Odoacre fit tout pour montrer à Zénon qu’il avait appliqué sa demande. Jusqu’à faire frapper monnaie au nom de Julius Nepos jusqu’en l’an… 480.
Un assassinat aux circonstances troubles
Au printemps 480, alors en déplacement dans sa résidence de campagne à Salone, Julius Nepos est assassiné. Les circonstances de l’assassinat demeurent très floues. Les auteurs anciens et les chroniques qui nous sont parvenues divergent même sur la date de l’évènement. Les Auctarii Hauniensis ordo prior fournissent la date du 22 juin. Les Auctarii Hauniensis évoquent le 9 mai. Dans tous les cas, Julius Nepos est bien nommé empereur par ces textes.
Sous ces consuls, Nepos, qui depuis quelque temps avait abdiqué l’empire à Oreste, fut tué par ses comtes Viator et Ovide, dans sa villa près de Salone.
Marcellinus, dans sa chronique, VIème siècle (source).
Les raisons motivant l’assassinat sont tout autant inconnues. Tout du moins, des hypothèses. Le religieux et chroniqueur byzantin Photius évoquait une vengeance de… Glycérius, chassé du pouvoir en 474 par Nepos. D’autres sources évoquent l’ambition de Julius Nepos de revenir en Italie et le refus de ses troupes de s’embarquer dans une aventure militaire vouée au désastre.
Julius Nepos : véritable dernier empereur romain d’Occident
Finalement, il faut bien admettre qu’au regard des formes des institutions romaines, nécessitant la reconnaissance réciproque entre les empereurs romains d’Occident et d’Orient, Romulus Augustule ne peut être considéré comme le dernier empereur romain d’Occident. C’est bel et bien Julius Nepos qui se doit d’être rappelé comme le dernier à avoir porté ce titre. De plus, les monnaies frappées par Odoacre, même s’il s’agit d’une manœuvre politique pour prouver sa bonne volonté auprès de Zénon, confirment la reconnaissance de Julius Nepos comme empereur romain d’Occident jusqu’en l’an 480.
Ainsi, aux yeux des italiens, usant de ces monnaies, mais aussi de Constantinople, le dernier empereur régna jusqu’en 480. Romulus Augustule n’aura été qu’une parenthèse, pourtant retenue par l’histoire et transmise par l’historiographie depuis des siècles. La date de 476 n’eut aucune forme de fin pour l’empire romain d’Occident pour l’époque. Julius Nepos peut donc être considéré comme le véritable dernier empereur romain d’Occident.
Bibliographie
Auteurs anciens
- Marcellinus (ou comte Marcellin), Chronique, VIème siècle. Consultable : ici.
- Malchos (Malchus) de Philadelphie, Byzantiaka (Histoire byzantine), VIème siècle. Nombreux extraits heureusement lisibles dans des travaux nommés dans la bibliographie ci-dessous.
- Jean d’Antioche, Histoire chronologique, VIIème siècle. Source des fragments : Umberto Roberto, Ioannis Antiocheni fragmenta ex Historia chronica, Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen, publié en 2005 aux éditions De Gruyter. Consultable partiellement : ici.
- Jordanès, Histoire des Goths (Getica), VIème siècle. Toute la retranscription latine de ses textes : à consulter ici.
Sur Julius Nepos
- Kent J.P.C., “Julius Nepos and the Fall of the western Empire”, publié en 1966 au sein de Corolla memoriae Erich Swoboda dedicata, pages 146 à 150.
- Michael Grant, The Roman Emperors: A Biographical Guide to the Rulers of Imperial Rome 31 BC – AD 476, publié en 1985 chez l’éditeur Charles Scribner’s. Pages 325 et 326 pour la notice portant sur Julius Nepos. Ouvrage formidable consultable : ici.
- John Joseph Wilkes, Diocletian’s palace, Split : residence of a retired Roman emperor, publié en 1993 chez l’éditeur académique Ian Sanders Memorial Committee (1986 pour la première édition).
- Željko Demo, “The Mint in Salona: Nepos and Ovida (474–481/2)”, publié en 1988 dans l’ouvrage collectif dirigé par Peter Kos et Željko Demo, Studia Numismatica Labacensia Alexandro Jeločnik Oblata, aux éditions Narodni muzej. Consultable : ici.
- Patrick Galliou, “Une monnaie d’or de Iulius Nepos découverte à Saint-Nicodème (Côtes-du-Nord)”, publié en 1988 dans la Revue archéologique de l’Ouest, vol. 5, pages 121 à 122. Consultable : ici.
Sur l’empire romain d’Occident et sa chute
- Christine Delaplace, La fin de l’Empire romain d’Occident : Rome et les Wisigoths de 382 à 531. publié en 2015 aux Presses universitaires de Rennes.
- François Zosso et Christian Zingg, Les Empereurs romains : 27 av. J.-C. – 476 apr. J.-C., publié en 2009 aux éditions Errance.
- Hervé Inglebert, Atlas de Rome et des barbares, IIIe-VIe siècle, publié en 2018 aux éditions Autrement.
- Yan Zurbach, Le projet politique de Théodoric le Grand, à travers les mutations du pouvoir romain du Vème au VIème siècle, mémoire de recherche défendu en 2014 à l’université du Québec à Montréal. Consultable entièrement : ici.
Par Cédric LABROUSSE
Le 2 mai 2023.
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POUR CITATION : LABROUSSE Cédric, “Julius Nepos, le véritable dernier empereur romain d’Occident”, 2023, VotreProfesseur | L’Histoire-Géographie pour tous. Lien : votreprofesseur.fr/histoire/julius-nepos-dernier-empereur-romain-occident/.