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Agriculture et sécheresse au Moyen Âge : les étangs artificiels du Forez

Les étangs artificiels du Forez, une solution pour cultiver face à la sécheresse au Moyen Âge ? Oui. Face à une réalité d’un territoire, reconnu peu fertile à l’époque, les comtes de Forez ont lancé, dès le XIIIème siècle, de grands projets de créations d’étangs artificiels ! Une entreprise incroyable qui a permis le développement de la région.

Cultiver au Moyen-âge : les étangs artificiels de Forez - par Cédric Labrousse
Les étangs artificiels du Forez, ou comment mettre en valeur une terre face à la sécheresse au Moyen Âge ? – par Cédric LABROUSSE | Crédits photographies : Isabelle Barou, 2018.

L’immense majorité des travaux de créations d’étangs, au Moyen-âge, a été réalisée dans des zones humides mais non cultivables : marécages, tourbes, etc… L’idée était d’assainir des terres très humides en déversant les eaux, par des réseaux de canaux et par des travaux de drainage, vers des étendues d’eau artificielles.

Pourtant, la sécheresse de certaines zones, un sujet étonnamment proche de nos préoccupations actuelles, a aussi mené à la création d’étangs. C’est le cas dans la plaine du Forez où la pluviométrie (quantité de pluie tombant sur une zone) était plus faible que dans le reste de la région située entre Lyon et Clermont-Ferrand. Conserver l’eau des pluies et du drainage de certaines zones permettaient d’avoir une activité de pisciculture et, une fois l’étang évaporé ou asséché, d’agriculture.

Moines de la Grande Chartreuse péchant et naviguant sur un étang. Détail d'une illustration par Paul Limbourg - XVème siècle.
Moines de la Grande Chartreuse péchant et naviguant sur un étang. Détail d’une illustration par Paul Limbourg. Les étangs du Forez ont été, de la même manière, exploités pour la pêche et la pisciculture – XVème siècle. Source.

Du vocabulaire avant d’aller plus loin

Pour avancer dans cet article, je vous propose ce petit lexique. Certes, il n’est pas le plus complet et détaillé mais vous permettra d’avoir des outils pour la suite.

Eaux stagnantes : aujourd’hui, comme au Moyen-âge, désignent des étendues d’eau qui stagnent, comme un étang.

Eaux vives ou eaux courantes : au Moyen-âge, désignent parfois des rivières. Aujourd’hui, des eaux vives peuvent être des rivières où des chutes accélèrent le débit.

Gruerie : ce mot désigne un droit (parfois même un office, sorte de bureau auprès du seigneur) de prélever un bien sur une zone : du bois dans une forêt, du poisson dans un étang, etc.

Pisciculture : élevage de poisson dans un étang artificiel, ou dans une zone réservée en milieu maritime. Dans le cadre de cet article, ce sera la pisciculture en eau douce.

L’historienne Armelle Querien, dans un article consacré aux étangs du Berry au Moyen Âge (à lire ici), publié en 2003, évoque trois termes, parmi d’autres, pour désigner une retenue d’eau artificielle au Moyen Âge :

  • Stagnum : une retenue d’eau, souvent associée à un moulin.
  • Lacus : retenue d’eau, qui peut être artificielle, ou naturelle et modifiée par l’homme, rarement utilisée cependant.
  • Vivarium : le mot devrait vous rappeler le mot « vivier ». C’est le principe : il s’agit d’une retenue d’eau utilisée pour la pisciculture et la pêche.

Cultiver au Moyen Âge malgré la sécheresse : la création des étangs artificiels du Forez

La sécheresse au Moyen Âge et la création des étangs dans le royaume de France

Au tournant des XIIIème et XIVème siècles, les épisodes de sécheresse se multiplient en Europe, et notamment dans le royaume de France. Face au phénomène, les territoires sont plus ou moins bien disposés. Certains s’en sortent bien. D’autres, beaucoup moins. C’est le cas de territoires déjà peu fertiles et dont l’été devient vite source d’évaporation des faibles réservés d’eau existantes.

Entre les années 1150 et 1450, une véritable « politique des étangs » se développe dans les terres du royaume de France (dans les régions de la Brenne, du Forez, des Dombes, etc…). Ces initiatives viennent des :

  • seigneurs laïcs, qui veulent développer l’agriculture et des revenus dans leurs domaines seigneuriaux.
  • ecclésiastiques (le clergé : personnels au service de l’Église), qui veulent développer leurs terres et leurs domaines (surtout des abbayes et des monastères)
  • plus tard, ce sont les bourgeois qui vont soutenir le développement des étangs. Vivant en ville, ils veulent des compléments de revenus venus de la campagne où les étangs rapporteront de l’argent. [Ici pour davantage de détails]

Dans la région comprise entre Clermont-Ferrand à l’ouest et Lyon à l’est, on trouve la plaine du Forez. Là, au Moyen Âge, les comtes de Forez règnent. Cependant, la zone est soumise à un microclimat : la pluviométrie y est bien plus faible que dans les environs. La raison ? La plaine est protégée par des montagnes (les Monts du Forez, à l’ouest, culminent jusqu’à 1634 mètres !) et forme une cuvette. En outre, le sol est très argileux. Ainsi, à la moindre période de forte chaleur, l’eau s’évapore bien plus facilement du sol ! Il fallait trouver des solutions.

Un des étangs artificiels de Forez. Cliché de 2018 par Isabelle Barou.
Un des étangs du Forez. Cliché d’Isabelle Barou, pris le 10 juin 2018, étang à l’est du grand étang les Rugnieux. Tous les droits de cette photographie lui reviennent. Tous les clichés sont visibles sur son site.

Les comtes de Forez veulent exploiter le potentiel de leurs terres

D’abord, dès 1233, les comtes de Forez lancent la création d’étangs. Trois objectifs :

  1. créer des réserves d’eau qui survivront aux sécheresses.
  2. y développer de la pisciculture pour exploiter les poissons.
  3. les terres fertilisées par les étangs seront exploitées pour l’agriculture traditionnelle.

Effectivement, le premier de ces étangs est situé aux pieds du mont d’Uzore, à l’ouest de la plaine du Forez, vers 1233. De fait, c’est sous le règne du comte Guy IV que ces grands travaux débutent. Pour cela, il fait appel aux corvées : ces taches obligatoires imposées aux paysans sur son domaine.

A NOTER : dans certaines régions du royaume de France, la création d'étangs entraine même la naissance de métiers spécifiques. Dans la région de la Brenne, les bressons sont les spécialistes de la création d'étangs.

Afin de l’alimenter, les seigneurs de Forez utilisent les cours d’eau naturels qui viennent des montagnes. Avec les générations suivantes, et face aux épisodes de sécheresse toujours plus nombreux, ce sont des centaines d’étangs qui sont créés dans la plaine. Ils sont souvent reliés à des cours d’eau existants par un bief : c’est un petit canal creusé par l’homme pour relier le cours d’eau à l’étang. D’abord, ce canal le remplit puis l’alimente quand il y a besoin : on ouvre une structure de bois pour faire rentrer l’eau.

Bief (béal en occitan) : petit canal artificiel reliant un cours d’eau à un étang.

De plus, l’étang peut être vidé, pour justement laisser place à des terres à cultiver. On actionne alors des structures comme des moines qui permettent d’évacuer l’eau.

Moine : système de vidange d’un lac ou d’un étang artificiel. Cette méthode porte son nom du fait de son invention associée aux moines de l’ordre de Cîteaux. Plusieurs planches contrôlent une évacuation d’une réserve d’eau : en levant ou refermant les planches, on évacue l’eau de manière contrôlée.

La pisciculture quand les étangs du Forez sont remplis

Pour débuter, la création des étangs dans le pays de Forez se fait avec une préoccupation : la rentabilité des structures. En conséquence, la mise en eau des étangs s’accompagne d’une mise en place d’une nouvelle activité pour la région : la pisciculture. Pour faire simple, il s’agit d’élever des poissons dans une étendue d’eau. Il faut souligner l’ingéniosité des hommes de l’époque : utiliser une réserve pour conserver de l’eau en période de sécheresse, tout en développant une nouvelle activité. Ainsi, l’élevage du poisson, qui est intégré dans les étangs, va fournir de nouvelles ressources pour nourrir la population, mais aussi de revenus par la vente du poisson.

D’ailleurs, le principal poisson développé dans les étangs est la carpe. Elle est massivement introduite dans le royaume de France au cours du XIIIème siècle. Pour l’exploiter, on pêche au filet, depuis une barque ou depuis la rive. Ou bien, on construit des pièges. La pisciculture peut alors permettre à des territoires plutôt pauvres d’avoir des revenus et de la nourriture.

Cette pratique se fait dans la période dite d’évolage.

Évolage : période de mise en eau d’un étang.

Détail des Très Riches Heures du duc de Berry montrant un étang et des pécheurs.
Dans un infime détail que j’ai repéré durant mes recherches pour cet article, on peut apercevoir une scène de pêche (avec un filet) dans une zone fermée d’un étang. L’illustration est issue du verso du 4ème feuillet de l’ouvrage Les Très Riches Heures du Duc de Berry, réalisé principalement par les frères Limbourg, vers 1415. N’hésitez pas à consulter l’ensemble de l’ouvrage conservé au musée de Chantilly en cliquant ici !

La culture de céréales quand l’étang est « assec »

En effet, grande idée de la création de ces étangs réside là : lors de périodes dites « assec« , l’étang est vidé. Le terrain, à l’origine impropre à l’agriculture, est désormais une terre bien nourrie par des années de concentration d’eau, d’algues qui ont fertilisé le fond de l’étang. Une fois « assec », le fond de l’étang peut devenir une terre agricole. Débute alors un nouveau cycle. Celui d’une culture de céréales traditionnelles.

Assec : période durant laquelle un étang est asséché. On peut y pratiquer l’agriculture sur le sol resté humide.

Dès lors, la terre est doublement rentable au bout de quelques années : on peut la cultiver comme une terre agricole et, en plus, on y ajoute les revenus de la pisciculture ! Ainsi, au Moyen-âge, dans les terres du Forez comme ailleurs, on a compris comment cultiver avec des étangs artificiels.

A NOTER : mettre à sec un étang, parfois même ne pas le remplir pendant quelques temps, permet parfois de savoir à qui appartient le terrain sur lequel se trouve... l'étang ! Ainsi, s'il y a plusieurs propriétaires de parcelles, on repère les limites avant de remplir l'étang. Pas bête !

Que sont devenus les étangs du Forez ?

De nos jours, seule une partie des étangs (on en a dénombré jusqu’à 600) a survécu. En effet, au XIXème siècle, notamment sous l’empereur Napoléon III, de nombreux étangs sont asséchés pour assainir la région. Un grand canal est creusé dans le Forez, dérivant les eaux avec une meilleure distribution. De plus, les critiques étaient nombreuses contre ces étangs vus comme facteur de développement d’épidémies, comme le paludisme.

Ainsi, seuls environ 300 étangs parsèment le paysage de la plaine du Forez à notre époque. Cependant, ils n’accueillent plus seulement une activité piscicole, qui a été sauvegardée depuis des siècles. Ainsi, on peut s’y balader, tout simplement.

Conclusion : les hommes du Forez, au Moyen Âge, avaient compris comment lutter contre la sécheresse, et cultiver grâce à des étangs artificiels

En conclusion, on soulignera ce point : l’incroyable intelligence technique de nos ancêtres. Face à un changement climatique, ils ont su s’adapter avec brio. Il faut dire qu’ils ont transformé la plaine du Forez, une terre peu tournée vers un potentiel agricole, en véritable lieu de vie et de ressources. A première vue, ce n’était pas gagner. Mais ils l’ont réussi : par le travail laborieux et la création de réserves d’eau, ils ont créé une fertilité inédite au sol ; ils ont pu préservé des réserves d’eau face à la sécheresse ; ils ont développé une activité supplémentaire : la pisciculture.

De quoi nous donner des idées quand nous devons faire face à de nouvelles problématiques climatiques de nos jours et que l’agriculture est appelée à se renouveler…

Pour aller plus loin : quelques lectures

Pour l’art de cultiver au Moyen Âge avec les étangs artificiels du Forez

  • Les hommes et la terre en Forez à la fin du moyen-âge: la seigneurie rurale face aux crises des XIVe et XVe siècles, par Claude Colombet-Lasseigne, publié par les presses de l’Université de Saint-Etienne en 2006
  • Les milieux humides dans la Loire, par Jean-Noël Degorce, publié aux presses de l’Université de Saint-Etienne en 1995 (thèse).
  • Article de Forez-info sur l’histoire simplifiée des étangs du Forez : à consulter ici.
  • Fiche sur la région du Forez et ses étangs, sur le site d’Art et Histoire en région Auvergne-Rhône-Alpes : à consulter ici.
  • Laissez vous conter le pays du Forez – Pays d’art et d’histoire : à consulter au format PDF ici.

Sur les étangs en France au Moyen Âge et la pisciculture

  • Sur sur l’étang de Saulce, aujourd’hui revenu à l’usage de terres agricoles : à consulter ici. Excellent exemple d’un réservoir artificiel construit par des membres de l’ordre des Templiers près de leur commanderie, pour affronter la sécheresse, cultiver et nourrir leurs bétails et chevaux.
  • Un article sur les étangs de la Brenne, créés au Moyen Âge : à consulter ici.
  • Un article global sur les étangs au Moyen-âge par Geneviève Bédoucha, Une « politique des étangs » très tôt attestée, publié en 2011 : à consulter ici.

Afin d’aborder la gestion des étangs dans une région précise, le Languedoc, on se rapportera sur l’incroyable travail de Jean-Loup Abbé : A la conquête des étangs, l’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (XII-XVème siècle), publié aux Presses Universitaires du Midi (du Mirail) en 2006. Il est consultable, entièrement et gratuitement, ici.

A la conquête des étangs, un ouvrage de Jean-Loup Abbé (2006).
A la conquête des étangs, un ouvrage de Jean-Loup Abbé (2006), aux Presses Universitaires du Midi (anciennement du Mirail).

Sur le détail de la création et l’utilisation au Moyen Âge des étangs de la Dombes :

  • La pisciculture en Dombes, par Régine Levrat, publié dans le n° 215 du Bulletin français de pisciculture, en 1964. A consulter ici.

Sur la pisciculture et la gestion d’étangs les seigneuries, on ira se pencher sur le cas de la Franche-Comté – Bourgogne. L’historien Pierre Gresser a écrit deux ouvrages sur la gestion des eaux dans la région par les seigneurs de France-Comté :

  • La gruerie du Comté de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles, par Pierre Gresser, publié aux éditions Brepols en 2004.
  • Pêche et pisciculture dans les eaux princières en Franche-Comté aux XIVe et XVe siècles, par Pierre Gresser, publié chez Brepols en 2008

Par Cédric LABROUSSE

1er novembre 2022

Cet article est une production inédite : si usage ou partage, merci de renseigner l’auteur, le titre d’origine et le lien vers cet article. Tous droits réservés quant à la partie écrite.

Pour les clichés réalisés par Isabelle Barou, et Joseph Barou, pour leur site consacré à l’histoire du Forez, je vous invite à nouveau à cliquez ici.

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