Les pirates Goths à l’assaut de l’empire romain en Mer Noire (235 – 270)

Entre 235 et 270, l’empire romain fait face aux raids des pirates Goths en Mer Noire. Repoussés par les troupes romaines sur le Danube, les Goths vont faire le choix de se lancer sur la mer. Leurs navires vont pénétrer profondément dans le domaine maritime de Rome jusqu’à ravager plusieurs cités romaines. La victoire sur ces pirates ne se fait qu’au prix de nombreuses campagnes militaires pour les empereurs romains.

L’empire romain vacille de toutes parts

Au tournant du milieu du IIIème siècle, l’empire romain est en grande difficulté. En effet, il est fragilisé par les luttes entre rivaux lorgnant sur le trône impérial. En outre, les ambitions de généraux sur les marges de l’empire étaient grandissantes. La crise de l’empire romain au IIIème siècle a fait l’objet de nombreuses études : on l’évoque aussi comme « l’anarchie militaire du IIIème siècle« . Dans ce contexte très instable, les peuples voisins de Rome ont peu à peu profité des faiblesses de l’empire : de toutes parts, ils franchirent le limes (le système frontalier romain, parfois fortifié). De fait, sur le Danube, la tension était grande : Goths, Vandales et autres peuples s’aventuraient toujours plus. Pénétrant parfois loin dans l’empire.

Sur le Danube et en Grèce, la résistance romaine face aux Goths

Dèce, général puis empereur, célébrant sa victoire sur les Goths entre 245 et 250, sur cette pièce de monnaie.

Dès les années 230, des raids, par voie terrestres, eurent lieu sur la côte occidentale de la Mer Noire. Ainsi, dès 235-236, les Goths prirent et pillèrent Histria, sur la côte. En 238, ils réussirent même à s’emparer d’Olbia, sur la façade nord de la Mer Noire. Un nœud stratégique. Quelques années plus tard, ce fut la cité de Marcianapolis. Près du Danube, le général romain Dèce les rejeta finalement vers le nord. Peu après sa victoire, ses troupes le proclamèrent empereur, ajoutant au chaos qui frappait l’empire. Par la suite, après des opérations en Italie, Dèce doit revenir dans la région, menacée par un chef Goth : Cniva, qui pillait la région et avançait vers le sud. Finalement, en 251, après une série de petites victoires, l’empereur Dèce est tué par les Goths à la bataille d’Abrittus.

Par ailleurs, ces raids avaient parfois lieu en profondeur dans l’empire. Un raid est notamment connu pour avoir été arrêté aux Thermopyles entre 252 et 254, suite à une résistance acharnée de miliciens grecs locaux.

ANECDOTE : la bataille des Thermopyles contre les Goths est encore sujette au débat quant à sa datation. Certains la placent en 254, d'autres entre 260 et 262, d'autres encore vers 263. Dans cet article, je ne prends pas position après lecture de plusieurs articles même si la datation autour de 255 semble être solidement argumentée.

Les barbares de l’Est, arrêtés par une résistance inattendue, cherchèrent une route nouvelle pour envahir l’empire ; la mer devint leur chemin. L’ère des flottilles commence : les flottilles des Goths […]. Les Goths […] auront réalisé les premiers la pensée que je poursuis avec obstination : trouvant la voie barrée du côté de la terre, ils s’embarquent en masse, et font ainsi rentrer, trois siècles environ après la bataille d’Actium, la marine, investie d’une nouvelle puissance, « dans le jeu des armées ».

Jurien de La Gravière, 1884, « La Marine des empereurs et les flottilles des Goths »

La naissance d’une flotte de guerre chez les Goths

Une dernière tentative terrestre sur le Danube est à signaler, toujours menée par le chef Cniva. Mais elle est repoussée par l’empereur Émilien. Ainsi, la capacité des troupes romaines à tenir bon, malgré la folle situation politique de l’empire, imposa aux peuples « barbares » de modifier leurs stratégies. Et ce fut le choix de la stratégie maritime, dans les années 250. En effet, ils tenaient de nombreux ports entre leurs mains : Olbia, depuis 238, mais aussi les autres cités de la côte de l’actuelle Crimée.

De là, ils utilisèrent les navires récupérés. D’autres furent probablement construits. Il s’agit probablement, et surtout, de bateaux de pêche reconvertis pour transporter des hommes et leur matériel. Associés à quelques navires de guerre de faible importance capturés dans ces ports. L’avantage de ces petites embarcations était leur rapidité sur les eaux de la Mer Noire. De plus, les équipages n’étaient pas seulement composés de Goths selon les auteurs anciens, mais aussi de peules voisins alliés. Dès lors, les capacités des pirates étaient multipliées.

Les pirates Goths se lancent sur l’empire romain

Les premières attaques des pirates Goths contre l’empire romain en Mer Noire

La première grande vague d’expédition des pirates Goths contre l’empire romain se signale entre 253 et 260. Ravageant tout d’abord la côte orientale, prenant Pityus et Trapézonte, ils tentèrent peu à peu de forcer le détroit au niveau de Byzance, donnant accès à la Mer Méditerranée. Ils y arrivèrent finalement et purent dévaster plusieurs régions entre Cyzique et Rhodes. Éphèse est signalée attaquée par l’auteur Zosime. La Bythinie fut ensuite livrée aux pillages.

L’empereur d’alors, Valérien, ne put réagir alors qu’il luttait déjà sur d’autres fronts, notamment face à la Perse, loin en Orient…

Les Scythes [Goths], qui possédaient cependant paisiblement ce qu’ils tenaient en Europe, ayant passé en Asie, et ayant fait des courses en Cappadoce, jusqu’à Pessinunte, et jusqu’à Ephèse, Émilien, général des troupes de Pannonie, voyant que leur courage était abattu par la prospérité des Barbares, tâcha de le relever, et de les faire souvenir de l’ancienne vertu romaine; il fondit à l’improviste sur les Barbares qui se trouvaient là, en tua un grand nombre, entra dans leur pays, tailla en pièces, à l’aide de la surprise, tout ce qu’il rencontra sur son passage, et, contre tout espoir, arracha à la fureur des ennemis les objets de l’empire. Cet exploit le fit proclamer empereur par ses soldats.

Zosime, Histoire nouvelle, Livre I

A NOTER : dans cet extrait, Zosime semble nommer les Goths, principaux instigateurs de ces raids, par le terme de « Scythes », peuple ancien de la région. Quand bien même il énumère les Goths comme leurs alliés, de même que les « Éruliens » (les Hérules).

Les pirates Hérules, alliés des Goths contre l’empire romain : l’invasion de la Grèce en 267

Les Goths ne sont donc pas les seuls à se jeter ainsi sur l’empire romain. En effet, vivant dans l’actuelle région de la Crimée, les Hérules portèrent un intérêt comparable pour des opérations militaires maritimes. Ainsi, en 267, une large flotte de bateaux pirates Goths et Hérules se présentait dans le détroit du Bosphore, décidée à piller Byzance. Mais l’armée romaine tint bon. Face à cette résistance, les troupes Goths et Hérules se dispersèrent dans un certain désordre. Certains prirent la route de la Macédoine, pillant la région. D’autres, notamment les Hérules, ravagèrent le sud de la Grèce. Athènes fut prise et son acropole livrée au saccage.

C’est finalement un notable grec local, Dexippus, qui mit fin à cette menace, à la tête de quelques milliers d’hommes. Il rappellera ces invasions Goths dans ses écrits, notamment le Scythica. Par ailleurs, une intervention d’un énième nouvel empereur, Gallien, couronna de succès cette reprise en main dans une bataille sur le fleuve Nessos : les Hérules repartirent vers le nord.

La fin de la piraterie des Goths

L’empereur Claude en guerre contre les pirates Goths

[…] En ce temps-là, les Scythes [Goths] enflés de l’heureux succès des incursions dont nous avons parlé, se joignirent aux Éruliens, aux Peuces et aux Goths, et s’étant assemblés aux environs du fleuve Tyra, qui se décharge dans le Pont, ils construisirent six mille vaisseaux […]

Zosime, Histoire nouvelle, Livre I

En 268, c’est une immense coalition qui s’était formée au nord du Danube : Goths, Hérules, Pinces et Gépides unifièrent leurs forces. L’objectif était notamment de mener une vaste opération de pillage sur les côtes de l’empire romain en Mer Noire et en Mer Égée. L’immense flotte se dirigea vers Byzance et son détroit. Mais sa désorganisation mena à un désastre pour les navires. Cependant, une partie des bateaux put franchir le détroit : elle alla jusqu’à menacer Chypre et frapper la Crête puis assiéger Thessalonique.

Claude, un général romain plein de vigueur, s’interposa enfin sur la route de cette armée, déclenchant la bataille de Naïssus en 269. Ainsi, il sauva Thessalonique d’un siège terrible. Durant la bataille de Naïssus, les légions de Rome purent enfin battre les Goths.

VICTORIAE GOTHIC

Sur cette pièce de monnaie de l’empereur Claude, on peut lire victoire gothique. L’illustration est un trophée comme les romains en levaient en signe de victoire après une bataille : le trophée se compose d’un casque, d’une armure, de deux boucliers et deux lances qui se croisent. A ses pieds, deux prisonniers agenouillés.

Une épidémie emporte les pirates Goths et… l’empereur

Claude, désormais connu comme le Gothique, pour sa lutte puis sa victoire sur les Goths, ne pouvait s’attendre à ce qu’il allait advenir. Tout d’abord, ce fut l’affaiblissement des bandes des Goths dans la région du Danube. Les Goths subissaient les ravages d’une épidémie dont la nature est encore discutée par les historiens : peste, variole ou autre chose ? Par la suite, l’épidémie a gagné les rangs de villages de la région et des troupes romaines. Jusqu’à atteindre l’empereur lui-même. Au début de l’année 270, Claude le Gothique succombait à son tour.

[…] La maladie fit de grands ravages dans leur armée, et partout ils furent vaincus. La guerre des Goths était terminée, mais, à sa suite, il se répandit une affreuse contagion. Claude lui-même en fut atteint, et, abandonnant les mortels, il s’éleva au ciel, auquel il appartenait par ses vertus. […]

Trebellius Pollio, « Vie du divin Claude » dans l’Histoire Auguste.

En finir avec les incursions maritimes des Goths

Cependant, la victoire de Naïssus, tout comme la peste, ne suffit pas à faire cesser les raids, certes moins destructeurs, des Goths. Ils se montrèrent cependant plus aventureux : en 270, ils approchèrent de nouveau des côtes de la Crête et de Chypre ! Le préfet romain Probus se chargea d’en finir. Ainsi, l’auteur ancien Zosime nous le confirme dans son Histoire nouvelle (Livre I) : « Probus qui avait reçu ordre de l’empereur de purger la mer de pirates […] ».

La fin des raids des pirates Goths et la restauration de l’empire romain

En 270 et 271, quelques raids des Goths, visiblement terrestres et maritimes, mais d’une moindre ampleur, frappèrent la côte proche d’Histria. En effet, ce furent les dernières opérations de piraterie collective de la part des Goths. L’empereur Aurélien, qui a servi sous Claude contre les Goths en 269, décida de mener la guerre chez les Goths. Pour cela, il franchit le Danube et attaqua les territoires de ses adversaires, revanche de la terrible bataille d’Abrittus qui avait pris la vie de l’empereur Dèce. Sa grande victoire mena à la fin des raids d’importance de la part des Goths et de leurs voisins. Ainsi, Aurélien y gagna le titre de Maximus Gothicus.

Aurélien pouvait alors concentrer ses efforts contre la reine Zénobie, qui avait fait sécession à Palmyre. Puis contre les « empereurs gaulois » à l’ouest. Il est le premier empereur à restaurer l’empire comme un tout dans cette terrible crise du IIIème siècle, gagnant ce titre de Restitutor Orbis. Mais le chaos n’en finissait pas dans l’empire : des conspirateurs l’assassinèrent en 275. Bien plus tard, les Goths, eux, massés au nord du Danube, allaient subir la pression d’un autre peuple : les Huns…

Pour aller plus loin sur les pirates Goths et l’empire romain : une bibliographie

Auteurs anciens

• Publius Herennius Dexippus, Scythica, IIIème siècle.
• Zosime, Histoire nouvelle, Livre I – Vème siècle – Texte entier traduit par , retranscrit ici.
• Trebellius Pollio (nom probablement d’emprunt), « Vie du divin Claude » dans l’Histoire Auguste – IVème siècle – Texte entier traduit par M. Fl. Legay entre 1844 et 1847, retranscrit ici.

Ouvrages généraux

• Yann Le Bohec, L’armée romaine dans la tourmente. Une nouvelle approche de la crise du IIIe siècle, publié en 2009 aux éditions Du Rocher.
• Michel Christol, L’Empire romain du IIIème siècle. Histoire politique (de 192, mort de Commode, à 325, concile de Nicée), publié en1997 aux éditions Errance.
• Magali Coumert et Bruno Dumézil, Les Royaumes barbares en Occident, collection « Que sais-je ? » aux Presses Universitaires de France en 2020.
• Hervé Inglebert, Atlas de Rome et des barbares IIIe-VIe siècle – La fin de l’Empire romain en Occident, publié en 2018 (nouvelle édition) aux éditions Autrement.
• Herwig Wolfram, History of the Goths, publié en 1990 aux Presses de l’Université de Californie.

Thèses, mémoires et articles

• Lambrini Chioti, L’invasion des Hérules à Athènes (267) : contribution à l’étude des conséquences de l’invasion et sur la reconstruction de la cité jusqu’à la fin du IVème siècle, thèse défendue à l’université d’Athènes, au département d’Histoire et Archéologie en 2018 : à consulter en ligne : ici (en grec !).
• Homer A. Thompson, « Athenian Twilight: A.D. 267-600 », publié dans le Journal of Roman Studies (Volume 49, parties 1 et 2) en 1959, pages 61-72 – Society for the Promotion of Roman Studies.
• Paul Stoklosa, L’empereur romain Claude II le Gothique (268-270), mémoire de Master sous la direction de Vincent Puech, publié en 2021 pour l’université de Versailles- Consultable : ici.
• « La Marine des empereurs et les flottilles des Goths » par Jurien de La Gravière, dans la Revue des Deux Mondes, 3ème période, tome 61, 1884 (p. 509-543).
• Dionysios Ch. Stathakopoulos, Famine and Pestilence in the late Roman and early Byzantine Empire, thèse devenue monographie publiée en 2007 aux éditions Routledge

Un article par Cédric LABROUSSE

Le 20 décembre 2022

Un article inédit par Cédric LABROUSSE – Tout usage doit être suivi de la mention de l’auteur et du lien vers cet article – Sous réserves de poursuites