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Retraites par répartition en France : un héritage du maréchal Pétain

En 1941, le système de retraites par répartition est installé en France sous la gouvernance d’un certain maréchal Pétain. Ce fait est rarement rappelé, mis sous le tapis. Comme une honte persistante de rappeler que l’héritage de la Révolution Nationale survit encore en France de nos jours. Confirmé en 1945 via les ordonnances sur la Sécurité sociale, le système de retraites par répartition voulu par le maréchal Pétain est en effet un des derniers éléments mis en place sous sa gouvernance qui survit encore.

Le système des retraites par répartition a été établi en France sous le maréchal Pétain en 1941.
Un rappel historique rarement évoqué : le système des retraites par répartition est un héritage du maréchal Pétain |un article inédit par Cédric LABROUSSE | Crédits : documents d’archives de la propagande de l’État français.

Le premier système de retraites en France : la capitalisation voulue par Jean Jaurès

Quand Jean Jaurès défendait la capitalisation

Le débat sur les retraites et leur financement est un vieux débat en France. Au début du XXème siècle, de nombreux hommes politiques s’affrontent sur le sujet. En vue de la mise en place d’une retraite pour les ouvriers et paysans, deux visions s’affrontent : un système de retraites par capitalisation et un système de retraites par répartition. Rappelons les deux concepts. La retraite par capitalisation permet à l’actif d’épargner un capital qu’il touchera au moment de sa retraite. La retraite par répartition fait reposer les retraités sur le salaire des actifs. Et les camps qui s’affrontent ne sont pas ceux que l’on imagine. Dans des tribunes endiablées dans le journal de gauche l’Humanité, Jean Jaurès défend avec acharnement… la capitalisation !

Jean Jaurès défend la retraite par capitalisation dans l'Humanité en 1909.
Tribune de Jean Jaurès défendant la retraite par capitalisation dans l’Humanité en 1909 | Crédits : BNF – Gallica.

Finalement, après de longs débats, le régime de retraite adopté en 1910 est un régime par capitalisation, qui reposera sur des fonds. La crise de 1929 secoue bien évidemment ces fonds. Une loi en 1930 garantit cependant la survie de la capitalisation pour les retraites et même leur extension. Malgré cette crise, ils se redressent (fait très rarement rappelé). C’est un véritable succès. On s’accorde sur la réussite du régime de retraite par capitalisation. La gauche du Front Populaire s’en accommode un temps après sa prise du pouvoir suite aux législatives de 1936. Même si les communistes, membres du Front Populaire, voulaient renverser ce système pour aller vers un régime par répartition. Leur ambition s’éteint en 1937 quand il faut davantage consacrer d’efforts aux armées.

La dernière loi sur les retraites datait de 1930. Le régime de capitalisation, alors en vigueur, avait donné de bons résultats. Sur les 8,8 millions d’assurés, 7 millions faisaient des versements, et 5,5 millions cotisaient régulièrement. La situation financière n’avait pas tardé à être florissante. Au 31 décembre 1934, 11 milliards de francs avaient été économisés sur les 17 milliards perçus.

Philippe Simonnot, dans une tribune pour le journal Le Monde, le 2 janvier 2020 (ici).

Le maréchal Pétain pose le sujet des retraites

Après la débâcle de mai-juin 1940, le maréchal Pétain prend les pleins pouvoirs à la suite d’un vote où une large partie des députés français accepte cet état de fait. Pour le maréchal, c’est le début de son vieux rêve : engager une Révolution Nationale. Dans cet objectif de révolution conservatrice politiquement, il veut construire un pays où la solidarité serait partout, y compris forcée. Le régime efface les syndicats et organisations patronales pour laisser place à des organismes de cogestion forcée.

Un autre sujet de solidarité arrive rapidement. En effet, que faire d’un pays où les vieux sont seuls ou bien encore au travail, alors que le chômage se renforce. Pour dégager des emplois, Pétain a besoin de places. Et pour cela, il imagine que les anciens doivent quitter ces emplois pour laisser la place. Quant aux anciens dont les fils sont en prison en Allemagne, il leur faut un revenu…

La naissance des retraites par répartition sous le maréchal Pétain

Le dossier est confié à Xavier Belin, ancien cadre de la CGT et collaborateur

Tout commence quand René Belin est nommé au ministère du Travail. Cet homme n’est pas un inconnu en France. Il était alors déjà engagé dans le mouvement dit de la Révolution Nationale souhaitée par le maréchal Pétain. Mais surtout, c’est un ancien cadre de la puissante Confédération Générale du Travail, la fameuse CGT. René Belin doit proposer une réforme des retraites au maréchal Pétain. En effet, alors que le pays s’enfonce dans l’occupation et le marasme, le chef de l’État français veut être en capacité d’annoncer au moins une bonne nouvelle qu’il jugerait populaire, tout en répondant à une crise sociale et économique.

Le maréchal Pétain met en place les retraites par répartition

L’idée est finalement arrêtée de partir sur deux bases. En premier lieu, faire main basse sur les réserves des fonds en capitalisations existants pour financer les retraités dès 1941. Dans un second temps, lancer un système de retraite par répartition. Le projet séduit le maréchal Pétain, qui l’approuve. Le 14 mars 1941, la loi relative à l’allocation aux vieux travailleurs salariés est publiée au Journal officiel.

Titre II
Modifications aux pensions de vieillesse du régime général des assurances sociales.

Art. 9. — § 1er. — Les retraites et pensions de vieillesse des assurances sociales sont constituées sous le régime de la répartition.

Loi relative à l’allocation aux vieux travailleurs salariés, 14 mars 1941.

Certes ce régime ne concerne que les assurés sociaux obligatoires des industries et du commerce, mais elle pose des bases. Cette mise en place s’accompagne d’une campagne de propagande, plutôt limitée, mais rappelant les grands principes de la Révolution Nationale que souhaite Philippe Pétain, soutenu en cela par René Belin. Je vous propose la lecture de ce très rare document d’origine :

La retraite des vieux - Mise en place de la retraite par répartition sous le maréchal Pétain. 1941.
Document de propagande de l’État français communiquant, dans un message de Philippe Pétain, sur la naissance du système des retraites par répartition | Cliché par Pierre Ressu pour delcampe.net.

Pour réussir son pari, et dans la droite ligne de sa devise où la famille est primordiale, le régime du maréchal Pétain installe rapidement une politique nataliste invitant les familles à faire de nombreux enfants. Des enfants appelés à travailler, mais aussi et surtout à faire tenir le régime par répartition. Dès 1942, les données indiquent bel et bien une envolée des naissances en France…

Le CNR reprend le système des retraites installé par Pétain

L’hostilité des gaullistes au projet

A Londres puis Alger, les gaullistes de la France Libre sont furieux. La décision de l’État français va à l’encontre de leurs idées, pour beaucoup favorables à la retraite par capitalisation. C’est notamment le pillage des fonds de pensions, qui avaient été abondés par des millions de salariés, qui provoque la colère de la France Libre. En effet, comme ils découvrirent plus tard, une fois revenus en France, les caisses sont bel et bien vides. Elles ont été aspirées pour payer les premières pensions via la répartition. La situation est telle qu’il ne restera que quelques immeubles, dans Paris principalement, appartenant encore à ces fonds…

Le CNR maintient finalement le modèle imaginé sous Pétain

Le Conseil National de la Résistance doit reprendre les choses en main sur tous les sujets dès 1944. Et se pose rapidement, de nouveau, l’enjeu des retraites. Or, comme les caisses sont vides, le CNR n’a pas d’autres solutions : piocher dans les cotisations sur les actifs et mises en place par… le maréchal Pétain. Le système est désormais en route. Et le projet de Sécurité sociale porté par Ambroise Croizat, un communiste, et Pierre Laroque, ancien collaborateur de René Belin ayant rallié la Résistance, ne fera que faire perdurer le modèle.

Ambroise Croizat et Pierre Laroque, meneurs du projet de la Sécurité sociale en 1945, intégrant la retraite par répartition.
Ambroise Croizat et Pierre Laroque, meneurs du projet de la Sécurité sociale en 1945, intégrant la retraite par répartition créée sous Vichy | Crédits : La Poste (2015).

Par les ordonnances sur la Sécurité sociale du 4 octobre 1945, le système par répartition mis en place par le maréchal Pétain va survivre. L’année 1946 confirme cette décision. Ainsi, un souvenir de la Révolution Nationale est transformé en symbole d’avancée sociale. Une réécriture de l’histoire pour faire oublier la loi du 14 mars 1941 comme le vrai acte de naissance du système des retraites français par répartition…

Le besoin d’une natalité toujours en progression

Le Conseil National de la Résistance était bien au fait que le système par répartition ne pouvait tenir qu’avec une natalité profondément soutenue. Pierre Laroque évoquait ainsi, et avec recul, en 1983 :

La sécurité sociale fut […] un succès aussi par le redressement de la natalité.

Pierre Laroque, 20 octobre 1983 | Crédits : archives de l’INA.

Ainsi, dès 1945, les autorités françaises vont inciter les familles à faire des enfants en nombre. Pour le régime de retraites par répartition, c’est un impératif : si la fécondité ne suit pas, la répartition deviendrait intenable. De fait, débuté sur la fin du régime du maréchal Pétain, le célèbre « baby-boom » se poursuivra jusqu’à l’orée des années 1960. Ce sont des millions de bébés qui naissent en quelques années au plus fort du « baby-boom ». Le système est donc assuré pour les retraités de l’époque. Mais une bombe à retardement est déposée par le pétainisme et le CNR…

Un système de retraites qui vacille sous le poids du nombre des retraités un siècle plus tard

La bombe a finalement explosé. Ce système est aujourd’hui contesté par de plus en plus d’économistes, démographes et personnalités politiques de tous bords. En effet, avec une fécondité qui s’est effondrée depuis les années 1960, le nombre d’actifs qui doivent cotiser pour les inactifs en retraite n’a cessé de se réduire. En conséquence, le poids des pensions de retraites devient extrêmement lourd sur les salaires des actifs, pas assez nombreux et perdant du revenu. Une situation inédite où le niveau de vie médian des retraités, issus de la génération du baby-boom née de la politique nataliste du pétainisme et du CNR, est désormais supérieur à celui… de ceux qui travaillent (à lire : Rapport de la DREES en 2021), et donc les financent. Certains, notamment les libéraux mais pas seulement, réclament désormais un glissement vers la capitalisation pour alléger le fardeau des pensions.

Et si Jaurès l’emportait finalement sur Pétain ?

Le système des retraites dans les programmes en classe

Au delà d’actualités du moment, et des questions d’élèves, il s’agira de se rappeler que la question des systèmes des retraites est abordée à plusieurs reprises dans les programmes. Au collège comme au lycée. Ainsi, la question des systèmes de retraites, et parfois plus particulièrement du système mis en place par Vichy et confirmé par le CNR, peut être évoquée :

  • Au collège :
  1. En 5ème, dans le premier thème de Géographie : La question démographique et l’inégal développement. Quand on évoquera les déséquilibres dans les pays où la population vieillit.
  2. En 3ème, dans le premier thème d’Histoire : L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales. Quand l’on évoquera l’idéologie de l’État français.
  • Au lycée :
  1. En seconde générale, dans le deuxième thème de Géographie : Territoires, populations et développement : quels défis ?, portant notamment la question de la démographie vieillissante de plusieurs pays.
  2. En terminale générale, dans le premier thème d’Histoire : Fragilités des démocraties, totalitarismes et Seconde Guerre mondiale (1929-1945).

Pour aller plus loin

  • Cécile DesprairiesL’Héritage de Vichy : ces 100 mesures toujours en vigueur, publié en 2012 chez Armand Colin.
  • Michel Dreyfus, Danièle Voldman, Michèle Ruffat et Vincent VietSe protéger, être protégé : Une histoire des assurances sociales en France, publié en 2015 aux Presses universitaires de Rennes.
  • Jean-Pierre Laffargue, « La réforme des systèmes de retraite : qui paiera ? », dans l’ouvrage collectif 27 questions d’économie contemporaine, dirigé par Philippe Askenazy et Daniel Cohen, publié en 2008 aux éditions Hachette.
  • Philippe Rault-Doumax, L’assurance-maladie au risque de la mondialisation : la crise structurelle du système de santé, publié en 2008 aux éditions L’Harmattan.
  • Elise Feller, Du vieillard au retraité – la construction de la vieillesse dans la France du XXe siècle, publié en 2017 chez L’Harmattan.
  • Marie Scot, « Pierre Laroque, maître à penser des questions sociales à Sciences Po », publié en 2018 au sein de l’ouvrage collectif Les Grands problèmes sociaux.

Par Cédric LABROUSSE

Le 21 mars 2013

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2 réflexions sur “Retraites par répartition en France : un héritage du maréchal Pétain

  • j ai beaucoup apprécié ce texte qui nous explique vraiment pourquoi on cotise en tant que salarié et finalement on se rend compte qu on est des moutons à qui on preleve pour tout..c était bien pour ça que Jean Jaures défendait la retraite par capitalisation. .Il est vrai qu a ce jour certains retraités vivent mieux que les salariés. ..Et c’est là résidence secondaire et les voyages. Et méprisent bien souvent le petit salarié. ..Dans le fond ça le rappellent quand on disait aux retraités ..faut bien qu on payent vos retraites. ..Et puis sans compter les fainéants qui vivent du RSA. .Ça aussi ça ète une belle bêtise. ils auraient mieux fait de nous faire cotiser plus en retraite que de nous faire ce prélèvement de csg et Rds. ..Ça commence à faire beaucoup et faut que ça explose. ..

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    • Bonjour, je suis agent de maîtrise.
      Après 42 ans de travail je prends une retraite méritée.
      J’aurais préféré un système mieux géré entre répartition et capitalisation.
      Il y a suffisamment d’argent pour que l’on ait une bonne retraite.
      Entre les cotisations, les dépôts personnels, les bénéfices à redistribuer…
      Franchement, on peut mieux faire et pas forcément par l’opprobre ou le conflit.

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