Le soft power des États-Unis: Johnny Hallyday, un produit américain ?
Johnny Hallyday est-il le meilleur exemple du soft power exercé par les États-Unis sur la France après la guerre ? C’est le sujet de cet article inédit qui sort de l’ordinaire ! Ou quand l’histoire de la musique croise l’Histoire et la géopolitique.
Dans le cadre du deuxième thème d’Histoire en Terminale générale “La multiplication des acteurs internationaux dans un monde bipolaire (de 1945 au début des années 1970)“, dans le Chapitre 2. Une nouvelle donne géopolitique : bipolarisation et émergence du tiers-monde, nous nous penchons sur la constitution d’un nouveau monde où deux puissances pensaient dessiner, seuls, l’histoire du monde. D’un côté, l’Union Soviétique et son bloc. De l’autre, les États-Unis et le leur.
Dans cette rivalité, le soft power culturel a eu un impact considérable. Dans ce contexte, étudions l’émergence d’une future star de la chanson en France dans les années 1950-1960 : Johnny Hallyday. Alors, Johnny, un pur produit américain ?
Qu’est-ce que le soft power ?
Avant d’avancer, rappelons nous les bases. Qu’est-ce que le soft power ? Il a été défini simplement par un géographe, Joseph Nye, en 1990. Notez bien : selon lui, et désormais accepté par tous, le soft power c’est « l’habileté à séduire et à attirer » pour une puissance. Ainsi, par ce qu’il représente, un pays pourrait à la fois dominer un autre mais aussi attirer à lui des alliés. On a beaucoup parlé de soft power culturel des États-Unis. La force de leur modèle culturel : de la nourriture (Mac Donald, Wendy’s, Burger King, Coca Cola…) en passant par le cinéma (Hollywood, Marvel, séries…). Evoquons, dans cet article le soft power culturel du point de vue musical avec l’arrivée en Europe, et notamment, en France, du Rock n’roll.
Johnny Hallyday, des années 1950 à 1961, naissance d’une star du rock n’roll en France
Johnny Hallyday est un petit garçon qui n’a pas eu de premières années radieuses. Jean-Philippe Smet, de son vrai nom, est né en 1943 d’une mère française, Huguette Clerc, et d’un père belge, Léon Smet. Alcoolique et fuyant, son père les abandonne très tôt. Sa mère ne pouvant s’occuper de lui, Jean-Philippe vit surtout avec la sœur de Léon. Il part alors pour Londres avec sa tante, Hélène Mar, et les deux filles de cette dernière. Une nouvelle vie commence.
Une enfance dans le bain culturel américain
A Londres, la vie de la famille Mar est très dure. Ses deux cousines sont aussi artistes : des danseuses. Puis, un jour, la famille croise un artiste aussi présent à Londres : Lee Ketchman. Le danseur américain s’habille tel un cow-boy, portant les bottes et les chemises. Jean-Philippe Smet est stupéfait de cet homme qui devient le modèle de “l’américain” à ses yeux. Lee Ketchman sort finalement avec une de ses cousines de Johnny. Il prend peu à peu le rôle de grand frère, voir de figure paternelle pour le jeune Smet. Comme il a du mal à prononcer son prénom, Jean-Philippe, Lee l’appelle… John.
La famille forme finalement une troupe. Et pour faire succès en Europe, en pleine percée du modèle américain sur le continent, ils prennent un nom “américain” : les Halliday’s. La troupe fait des représentations de 1946 à 1956, de la Suisse à la France, où revient celui qui se fait peu à peu appelé Johnny.
L’attrait du Rock’n roll : le soft power des États-Unis
L’influence des États-Unis sur Jean-Philippe est colossale. Plongé si jeune dans cette culture, il se tourne naturellement vers le cinéma venu de ce pays. Quand il se rend au cinéma, Jean-Philippe passe des journées à regarder des films mettant à l’affiche Elvis Presley, James Dean et Marlon Brando. Il en adopte le style vestimentaire. Mais aussi les attitudes. Col de chemise relevé, bottes comme son “père adoptif”, il prend tous les symboles.
Par l’intermédiaire de ce cinéma, il découvre notamment le rock n’roll. C’est en effet dans le film Amour frénétique, où Elvis Presley, aussi chanteur, qui sera connu comme le “King”, tient le premier rôle en 1957. Dans ce film, Elvis tient sa guitare et donne tout son talent de scène. Le jeune Jean-Philippe est sous le charme. Il sera chanteur. Déjà grand amateur de guitare, il va tout faire pour percer dans la musique. En toute logique, ce serait dans le rock n’roll.
Un nom de scène et une identité nouvelle
Pour s’imposer sur la scène, il faut se faire un nom. N’ayant jamais considéré être un Smet, du nom de ce père qui l’a abandonné, il prend le nom de Halliday, nom de scène de ce père adoptif qu’il admirait tant. Il sera donc Johnny Halliday. Loin d’être seul dans ce cas, d’autres emboitent le pas : il les rencontrera dès 1958 sur Paris. Christian Blondieu devient Long Chris et Claude Moine prend le nom d’un certain… Eddy Mitchell. Eux aussi ont été influencés par ces films et musiques venues d’outre-Atlantique.
Cette identification aux États-Unis est symbolique. La réussite et la nouveauté passent par les États-Unis. Johnny Halliday va alors aller plus loin.
La naissance d’une star du rock n’roll
Au cours d’une émission, l’Ecole des vedettes, diffusée le 18 avril 1960, Johnny Halliday est parrainé par Line Renaud. Celle-ci le présente alors au public français. Et, probablement sur la demande de Johnny, qui n’a alors que 17 ans, elle annonce qu’il est issu de l’union d’une française et d’un… américain. Ainsi, pour amplifier cette attache à ce pays qui fait rêver en France, il se fait lui même franco-américain. La chanson qu’il interprète en direct est une reprise d’un tube américain. C’est un succès dans les semaines qui suivent et ses premiers vinyles se vendent très rapidement.
Peu de temps après sa révélation, Johnny Halliday prendra définitivement le nom de Johnny Hallyday. Une raison ? L’imprimeur s’est trompé sur une pochette. Le “i” est devenu un “y”. Il poursuivra donc avec ce nom. Prenant son autonomie artistique mais sans effacer, en rien, son lien avec la culture nord-américaine. Sa carrière est désormais lancée. Par la suite, le chanteur poursuivra ses reprises de classiques du rock n’roll des États-Unis : reprenant des tubes de Little Richard ou encore de Chuck Berry…
Enfin, il s’adaptera, très régulièrement, aux différents styles musicaux qui viendront des États-Unis. Il ira par exemple jusqu’à épouser le style rock qui se développera à la fin des années 1960, dans le pur style de Wood Stock. Une démonstration qu’il aura, toujours, entretenu ce lien fort.
Conclusion
Dans une interview quelques années plus tard, au début des années 1960, Johnny Hallyday révélera être le fils d’un père belge. Assumant son passé, il n’en rappellera pas moins avoir repris le nom des “Hallidays” avec qui il avait connu ses premières scènes. Il soulignera que son “cousin germain”, faisant référence à Lee Halliday, était bien américain. Le soft power des États-Unis triomphe et Johnny Hallyday assume ce lien.
Ainsi, Johnny Hallyday deviendra, en quelques années, le symbole d’une culture nord-américaine très influente en France. Musique et cinéma venus d’Hollywood et de Nashville auront influencé le jeune homme et toute une génération. Une génération qui veut rompre avec celle qui l’a précédé.
Le modèle culturel américain gagne alors l’Europe de l’ouest, pas seulement la France. Le soft power culturel des États-Unis l’emporte.
Johnny Hallyday est-il un produit américain ? Oui, pour ce qui est des influences nombreuses qui ont formé son style. Mais son talent, lui, fut bien le sien. Et surtout, il aura eu à cœur de chanter quasi uniquement en français. Une chose rare mais à souligner. Finalement, il est bien le produit de quelque chose : entre une culture française qui s’adapte et survit, et une culture américaine qui s’installe.
LABROUSSE Cédric, 20 septembre 2022
Article entièrement créé par Cédric Labrousse – Merci de signaler la source si usage (nom de l’auteur, titre, lien vers l’article).