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Les Voltigeurs Corses, une force de soutien à la gendarmerie

En 1822, le roi Louis XVIII, répondant à une demande des autorités locales, signe une ordonnance créant le bataillon des Voltigeurs Corses. Cette force est censée agir en complément de la gendarmerie, si possible en recrutant des corses, dans la lutte contre le banditisme. J’ai rédigé cet article en m’appuyant notamment sur le travail de Vincent Ossadzow et je vous invite à découvrir l’étonnante histoire de cette force de maintien de l’ordre que les corses surnommaient « les collets jaunes ».

Les Voltigeurs Corses, un bataillon d'aide à la gendarmerie
Les Voltigeurs Corses, un bataillon d’aide à la gendarmerie sur l’île | un article par Cédric LABROUSSE | Crédits : aquarelle de Louis Victor de Moltzheim & toile Le village de Noceta par Joseph-Antoine Canasi.

La Corse, le banditisme et les autorités

Le bandit d’honneur. Cette notion peut sembler étonnante à un lecteur peu connaisseur de l’Histoire de la Corse. Cependant, dans l’Île de Beauté, cette formule a un sens. De fait, c’est toute une tradition, que l’on nomme la vendetta, qui se trouvait déjà ancrée dans la culture corse. La vendetta consistait au refus d’accepter un affront et donc de le venger dans le sang. L’homme, devenu bandit, l’était par honneur. Il prenait alors le maquis, cette vaste région sauvage, pour trouver refuge.

Après l’annexion définitive de la Corse par la France en 1768, deux lois se trouvent de fait face à face : la loi traditionnelle du pays, la vendetta, et la loi de l’État qui voulait s’imposer sur l’île. Au XIXème siècle, la Corse connaît une flambée du phénomène des bandits. Certains, comme Théodore Poli, devinrent de véritables célébrités. A la tête d’une vaste bande qu’il avait unifié, il allait jusqu’à menacer les gendarmeries. Toutefois, comme le signale Jean Baptiste Marcaggi cité par Vincent Ossadsow, les Corses eux même firent la différence entre les bandits d’honneur et les hommes qui profitaient du maquis pour rançonner et faire régner la terreur. Ces derniers n’était pas du tout respectés. Ajoutons enfin une dernière catégorie qui avait gagné le maquis : les réfractaires à la conscription militaire.

Brigand mourant - tableau de Guillaume Bodinier en 1824.
Brigand mourant, toile réalisée par Guillaume Bodinier en 1824 alors qu’il était à Rome (Italie) | Crédits : Musée des Beaux Arts d’Angers.

En 1822, la violence gagnait encore du terrain et on dénombrait 190 homicides en une seule année. Cette violence qui se développait en Corse mena à la nomination d’un nouveau préfet en 1822 : le vicomte Élysée de Suleau. Administrateur ferme, il comptait bien affirmer la forme de l’autorité qu’il servait.

La création du Bataillon des Voltigeurs Corses

Au delà de la légende qui assure que le bataillon fut formé pour attraper Théodore Poli, il faut établir les faits. Tout d’abord, le vicomte de Suleau ne put que dresser le bilan d’une incapacité de la gendarmerie. En sous-effectif, assiégée dans ses propres bastions, elle subissait de lourdes pertes. Entre 1816 et 1823, 116 gendarmes avaient été tués en Corse. Un chiffre bien supérieur, rien que pour l’île, au nombre de gendarmes tués sur toute la France dans la même période…

C’est alors que le vicomte de Suleau demanda la création d’un corps local de maintien de l’ordre et de traque des bandits. Par ailleurs, ce corps serait composé de locaux. Ce n’était pas une nouveauté : antérieurement, deux compagnies de chasseurs Corses avaient déjà été organisées en 1814, sur ordonnance royale. Et ce fut une semblable ordonnance royale, du 6 novembre 1822, qui consacra la naissance du Bataillon des Voltigeurs Corses. Le pouvoir à Paris répondait ainsi positivement aux demandes des autorités locales. Le bataillon intégrait la 17ème Division militaire et se désignait comme auxiliaire à la gendarmerie. Cela dit, il ne répondait ni de l’appareil judiciaire, ni des officiers de la hiérarchie de la gendarmerie.

Quatre compagnies furent créées. Elles étaient basées à Bastia, Corte, Ajaccio et Sartène. Enfin, l’État-major s’installa à Bastia. Après quoi, n’étant ni dépendants de la gendarmerie, ni de l’infanterie, les Voltigeurs Corses jouissaient d’une large autonomie dans leurs actions.

Voltigeurs Corses, gravure de René Louis réalisée en 1836.
Voltigeurs Corses, gravure de René Louis réalisée en 1836 | Crédits : exposition au Musée de Bastia (2021).

Le recrutement et l’organisation

Durant toute la période d’activité du bataillon, qui compta jusqu’à plus de 400 hommes, les Corses furent très majoritaires dans le rang. Pour beaucoup, il s’agissait d’anciens militaires et de gars de la troupe d’infanterie. De plus, la solde, plutôt élevée au regard du niveau de vie en Corse alors, permettait d’attirer. A noter cependant : une vingtaine de continentaux en furent membres. En outre, certains volontaires Corses l’étaient pour une raison précise : tuer un bandit avec qui ils avaient eux même une affaire à régler. Jusqu’en 1845, les Corses n’étaient pas enrôlés mais simplement engagés. De fait, certains, à peine après avoir prêté serment, désertaient.

Vous jurez et promettez de bien et fidèlement servir le Roi, d’obéir dans toutes les occasions, aux chefs qui vous seront donnés par Sa Majesté, et de ne jamais abandonner vos drapeaux.

Serment que devaient prêter les Voltigeurs Corses. Indiqué en 1823 dans un procès-verbal cité par Vladimir Ossadzow

Les compagnies étaient en charge d’une dizaine de villages. Pour mener des patrouilles, ils se déployaient par groupes allant de 7 à 8 voltigeurs avec leur commandant. Les missions étaient multiples : la quête de renseignements (parfois contre de l’argent comme le raconte Prosper Mérimée dans sa nouvelle), la traque et enfin, les combats. L’ordonnance du 17 juin 1845 réorganisait le bataillon : il n’était plus auxiliaire à la gendarmerie mais une troupe d’infanterie.

Le matériel du Voltigeur Corse

L’uniforme du Voltigeur Corse évolua peu. Il s’agissait d’un uniforme réglementaire de base, avec régulièrement un imposant shako comme couvre-chef. Cependant, loin des représentations ici présentées dans cet article, nombre de Voltigeurs ne portaient pas leurs uniformes. Les témoignages multiples décrivent par ailleurs que peu de choses pouvaient les distinguer des autres Corses. Un signe distinctif cependant : la couleur jaune de plusieurs éléments de la tenue. Qui leur donnèrent le surnom des « collets jaunes ».

Casquette portée par des Voltigeurs Corses (1845).
Casquette portée par des Voltigeurs Corses (1845) | Crédits : Musée de la gendarmerie nationale, Melun (Inv. 10895.2007.01814).

Côté armement, les fusils de l’armée montrèrent rapidement leurs lacunes dans les zones de maquis. Les fusils de chasse, à percussion, des bandits corses prenaient souvent le dessus sur les fusils à silex, anciens, de l’armée. Tout allait changer avec la nomination du nouveau gouverneur militaire de la Corse, Louis Alexis Desmichels, installé en 1837 à la tête de la 17ème Division militaire. Ainsi, le baron Desmichels demanda l’étude d’un fusil à canon double, sur le modèle du fusil de chasse, pour les Voltigeurs Corses. Par la suite, le comité d’Artillerie de l’armée donna une réponse positive. Et des fusils à percussion et à canons doubles furent distribués dès 1839 aux Voltigeurs Corses, tout autant qu’aux gendarmes de la région.

Fusil de voltigeur corse (1840).
Fusil de voltigeurs corses (1840) | Crédits : services photographiques du site de vente d’armes de collection de Bertrand Malvaux (ici).

Une histoire finalement courte…

Les faits d’armes des Voltigeurs Corses sont nombreux au début de leurs activités avec des dizaines d’arrestations et traques. Théodore Poli, dont nous parlions plus avant, est ainsi trouvé et abattu en 1827. Sa bande se désagrégea rapidement. Mais dès les années 1830-1835, le bilan semble être plus variable. Et cela allait mener à la fin du bataillon. Tout d’abord, sur le temps long de l’existence du bataillon, la violence ne recula que peu. Rappelons les 190 homicides en 1822. L’île en comptait toujours 165 en 1850. Dans un second temps, les critiques s’étaient multipliées, notamment de la part de maires des communes où les Voltigeurs stationnaient parfois. Ils pouvaient être dénoncés, parfois injustement, comme régnant pour eux même. Enfin, les relations avec la gendarmerie étaient aussi compliquées pour ces Corses qui n’y voyaient qu’une forme de représentation continentale du pouvoir. Par exemple, en 1844, à Sartène, la situation entre gendarmes et voltigeurs faillit dégénérer.

Le bataillon est finalement dissout le 10 juillet 1850. En lieu et place du bataillon des Voltigeurs Corses se forma un bataillon mobile de gendarmerie. Qui disparaitra lui même un an plus tard.

Lors du licenciement (en 1850), la moitié de l’effectif, composé de 207 militaires, est affectée au nouveau bataillon, ce qui prouve une certaine proximité de cette formation avec le corps de la gendarmerie.

Vincent Ossadzow, dans la Revue de la gendarmerie nationale, dans son hors-série numéro 2, publié en 2000

En conclusion, au bilan dressé par Vincent Ossadzow, 30 Voltigeurs Corses furent tués ou moururent de leurs blessures entre 1822 et 1850. Un lourd tribut principalement payé pour traquer les bandits dans le maquis. Le bataillon restera dans les mémoires locales tout comme dans l’histoire de la gendarmerie. Ancêtre de ce qu’allait devenir la gendarmerie mobile, le bataillon des Voltigeurs Corses put se targuer des nombreuses légions d’honneur reçues par ses membres comme preuves de ses engagements. Mais ceci n’effaçait en rien les critiques multiples qu’il avait connu.

Pour aller plus loin sur les Voltigeurs Corses et la Corse du XIXème siècle

Sur les Voltigeurs Corses

  • Vincent Ossadzow, Le bataillon de voltigeurs corses (sous la direction de Jean-Noël Luc), mémoire en Histoire contemporaine, publié en 2000. Consultable entièrement : ici.
  • Fiche d’identification sur le site officiel du Musée de la Gendarmerie nationale : à consulter ici. Rédigée par Vincent Ossadzow, à l’origine dans la Revue de la gendarmerie nationale, dans son hors-série numéro 2, publié en 2000.
  • Numéro 48 de la Gazette des armes, publié en 1977 par Régi’Arm. Consultable : ici.

Sur l’histoire de la Corse et du banditisme en Corse

  • Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des corses , publié en 2008 aux éditions Perrin.
  • Pierre Antonetti, Histoire de la Corse, publié en 1973 aux éditons Laffont.
  • Gabriel Xavier Culioli et Vanina Culioli, La Corse et ses bandits : anthologie, en deux volumes (sur les XIXème et XXème siècles), publié en 2000 aux éditions DCL.
  • Jean-Baptiste Marcaggi, Les bandits corses. Histoire de la vendetta, publié en 1966 aux éditions Desroches.
  • Émile Franceschini, « La situation morale et judiciaire de la Corse (1817-1821) », publié en 1919 au sein du Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, tome 11, n° 397-400, pages 25 à 87.
  • L’exposition temporaire « Banditi ! Brigandage et banditisme, Corse-Italie, 1600-1940 », au musée de Bastia. Cette exposition a eu lieu du 3 juillet au 18 décembre 2021. Des éléments ici disponibles.

Dans la littérature

  • Prosper Mérimée, Mateo Falcone, une nouvelle réaliste publiée la première fois le 3 mai 1829 au sein de la Revue de Paris, dans laquelle on croise une bande de Voltigeurs Corses. Consultable ici gratuitement et entièrement.
  • Gustave Flaubert, Voyage dans les Pyrénées et en Corse, republié en 2001 dans le recueil Les Mémoires d’un fou – Novembre – Pyrénées-Corse – Voyage en Italie, aux éditions Gallimard.

Un article par Cédric LABROUSSE

Le 2 avril 2023

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