L’avis d’un professeur d’Histoire-Géographie sur ChatGPT

Voici venir l’avis d’un professeur d’Histoire et de Géographie sur le fameux ChatGPT, avec la particularité de ne pas y être hostile ! Il fait la Une de nombreuses publications du net. ChatGPT. Mais qu’est-ce vraiment que cette intelligence artificielle ? Ce chatbot, lancé en novembre 2022, n’a pas encore vraiment débarqué dans les copies des élèves de France. Mais il pourrait bien faire son apparition d’ici peu.

Peut-elle vraiment faire peur à des enseignants ? Pourquoi ne pas en avoir peur quand on est enseignant ? Pourquoi l’utiliser avec prudence et distance quand on est élève ?

Un bref rappel de ce qu’est ChatGPT, avant un avis quant à l’Histoire et la Géographie

Tout d’abord, ChatGPT est un chatbot avec un programme Generative Pre-trained model : ce qui veut dire qu’il possède des algorithmes qui lui permettent d’apprendre en ligne avant d’être mis en service. Quand ChatGPT vous répond, il ne cherche pas sur Internet, il cherche dans ce qu’il a appris sur Internet avant d’en être déconnecté. Il existait déjà beaucoup de chatbots avant lui. Vous avez pu en voir lors de prises de contacts avec votre fournisseur internet ou dans certains réseaux bancaires. Ainsi, c’est une boite de conversation, avec une intelligence artificielle programmée, qui tente de vous répondre. Bien souvent pour finir par vous dire qu’elle n’a aucune réponse et de vous renvoyer vers un interlocuteur… de chair et de sang.

Le lancement de ChatGPT 3.5

Le 30 novembre 2022, l’entreprise OpenAI, basée aux États-Unis (et fondée par Elon Musk en 2015), a lancé ChatGPT dans une version dite GPT 3.5. Une autre version existait déjà nommée ChatGPT 3. Depuis, la presse américaine, puis internationale, s’est penchée sur ce qui serait une incroyable avancée dans l’intelligence artificielle (IA) et les chatbots. Le 5 décembre 2022, le New York Times, par l’intermédiaire du journaliste Kevin Roose, allait jusqu’à assurer que ChatGPT soit la plus aboutie des formes d’IA disponibles auprès du grand public. Il aurait réponse à quasiment tous les sujets.

Le grand économiste Paul Krugman a été jusqu’à imaginer qu’il mettrait en danger les professions intellectuelles, et pourquoi pas les enseignants…

Cependant, depuis quelques semaines, le vent tourne et des critiques s’accumulent.

« Trop de confiance sur la forme peut abaisser la vigilance sur la véracité de ce qui est produit ».

Chloé Clavel, professeur et chercheuse à Télécom Paris, citée dans un article du Monde, le 21 décembre 2022 (ici).

Enfin, on rappellera, encore, que ChatGPT est un robot qui n’est pas connecté à Internet. Il a été entraîné et programmé avec près de 175 milliards (!) de paramètres. Mais il a ensuite été simplement présenté comme interface. Sa base de données, dans laquelle il fouille pour vous répondre, s’arrête en 2021 ! [A NOTER : j’ai testé simplement « A partir de quel jour l’invasion russe en Ukraine a-t-elle débuté ? ». Sa réponse est confuse. Il tente de partir des évènements de 2014 mais ne trouve rien quant à l’actualité récente…].

IMPORTANT | MISE A JOUR : La version 4 de ChatGPT a été mise en ligne le 17 mars 2023. Une véritable révolution par sa puissance, sa rapidité, ses corrections réalisées par rapport à la version 3.5.

ChatGPT pas si bon en tout, même en Histoire et Géographie ?

Les critiques se sont concentrées, et c’est encore le cas aujourd’hui, sur les capacités de ChatGPT à pouvoir répondre à tout. Ainsi, plusieurs journalistes se sont amusés à piéger l’intelligence artificielle. En compliquant à peine leurs questions d’origine, l’IA se met à inventer des réponses qui n’ont aucun sens. Voir se trompe complètement. De plus en plus de gens se sont retrouvés face à des réponses qui n’étaient ni logiques, ni argumentées, ni même correctes. L’IA n’hésitant pas à mélanger des références entre elles.

Autre remarque formulée par des enseignants qui ont tenté de voir ce que ChatGPT avait à nous dire : il ne fait que très rarement référence à des dates historiques précises. L’outil semble être en difficulté avec ce principe. Il pourra en formuler en précisant toujours les questions.

Et si Le Professeur défiait à son tour ChatGPT 3.5 ?

Je vous propose une expérience simple. Imaginons que je donne un cours en Première générale. Je veux questionner les élèves après plusieurs séances, vérifier s’ils ont saisi le sens des évènements étudiés. Je leur demande de répondre à une question problématisée simple dans un petit travail à faire à la maison en utilisant les cours et quelques ressources mises à disposition. Elle se formule ainsi : « En quoi Louis XVI fut le catalyseur des colères dès 1791 ?« 

Imaginons ensuite qu’un élève se connecte à ChatGPT, bien décidé à obtenir une réponse « toute faite » qu’il n’aurait qu’à recopier…

Voici la réponse obtenue…

Analysons cette réponse de ChatGPT

Pour cela, j’ai mis en avant trois choses qui me paraissent essentielles à distinguer.

• Une introduction qui ne présente pas le sujet et ne répond pas au cadre chronologique que j’ai donné : la question problématisée portait sur la montée des colères contre Louis XVI à partir de 1791. Indiquant qu’il n’était donc pas l’objectif premier de la révolution entre 1789 et début 1791. ChatGPT se révèle alors totalement déconnecté du sujet. Il tente de dresser un bilan global débutant dès… 1789. Or, ce n’est pas le sujet que j’ai demandé. Il me parle des choix politiques de Louis XVI aggravant la crise financière, entre autres. Or ces sujets ont déjà été pour beaucoup traités lors de la première phase de la révolution de 1789 à 1791 : l’impôt est mieux réparti, les finances sont scrutées, etc… Enfin, jusqu’en 1791, la remise en cause du roi n’est que très marginale. Même Marat, un des révolutionnaires les plus durs, se montre plutôt attentif au roi dans ses écrits publiés dans la presse jusqu’en 1790…
• Un vocabulaire totalement hors-sujet pour l’époque : ChatGPT déraille assez rapidement. Et c’est visible par l’usage d’un terme simple : « classe moyenne ». Il voudrait désigner, probablement, la bourgeoisie. Qui, en effet, se plaignant d’être trop taxée, aux côtés des paysans, a largement mené la révolution dès 1789. Tout d’abord, cela n’a encore rien à voir avec la question du sujet qui indique « dès 1791 ». Mais, en plus, ChatGPT utilise un terme qui ne s’applique pas pour l’époque ! Certains ont voulu voir la « classe moyenne » dans la bourgeoisie de 1789. Mais en utilisant la notion telle que définie… au milieu du XIXème siècle ! ChatGPT n’utilise donc pas le bon vocabulaire…
• Il parle enfin d’une des raisons des colères contre Louis XVI, dès 1791 : il faut attendre la fin de son propos pour évoquer une de ces raisons. Notamment sa fuite à Varennes en juin 1791. Et vécue, en effet, comme une trahison. Cette raison étant l’origine des autres.

Bilan

Si un élève avait réalisé, sans remanier et vérifier, ce travail via ChatGPT, c’était une grande part de hors-sujet, un mauvais usage des notions vues en classe et seulement une infime partie de la réponse possible. J’espère donc que vous vous souviendrez, qu’en tant qu’enseignant, je serai vigilant, comme d’autres professeurs, sur le potentiel usage de cet outil. Je ne l’interdis pas : j’appelle à l’utiliser avec intelligence, logique et prudence.

Pour conclure, voici quelques uns de mes attendus pour la réponse. Ils manquaient dans celle formulée par ChatGPT :

1. La trahison va pousser les révolutionnaires à penser que le roi n’a jamais eu confiance dans les promesses qu’il a faites. Va-t-il revenir sur le projet de Constitution ?
2. Ils vont penser tout autant qu’il préparait une guerre contre la France, depuis les royaumes voisins (armée des émigrés avec ses frères).
3. L’autre argument eut été les réticences du roi à imposer la loi aux prêtres réfractaires (contre laquelle il met énormément de barrages).
4. Enfin, on pouvait citer la déclaration de Brunswick qui, en juillet 1792, menace de raser Paris si le roi n’est pas pleinement rétabli dans ses pouvoirs. De nombreux révolutionnaires pensant que le roi ait pu agir pour obtenir de telles considérations .

Avis sur ChatGPT et message d’alerte pour les élèves en Histoire Géographie

Il est temps de donner mon avis sur ChatGPT dans le cadre des disciplines d’Histoire et de Géographie. ChatGPT est impressionnant. Oui. C’est un fait. Et je suis passionné de ces nouvelles technologies qui vont révolutionner notre monde. Dans le même temps, un enseignant repèrera l’usage sans réflexion de ChatGPT s’il est au fait de la maitrise de ses disciplines, ce dont on ne doit pas douter. Il découvrira rapidement, notamment face à des questions complexes au Lycée et en spécialité HGGSP, un travail qui aura été généré automatiquement par ChatGPT. L’outil doit être un élément de recherche, une aide, mais il nécessite ensuite, pour l’élève, le travail nécessaire. Si des collègues ont des doutes, attention aux accusations hasardeuses. Je vous donne donc la méthode infaillible : testez l’élève à l’oral. Mieux : ne produisez pas, pour être certain de votre coup, d’évaluations à la maison. Égalité devant les copies en classe. Si la réponse diverge très fortement, avec une grande difficulté à formuler la même conclusion et les mêmes arguments, vous aurez détecté un travail réalisé via ChatGPT…

Pour les élèves, l’exemple que j’ai réalisé plus haut est une alerte sincère. Ne vous méprenez pas sur vos enseignants. Ils verront les incohérences, les erreurs et les formulations problématiques. Ne vous risquez pas, notamment sur des évaluations ou examens qui pourraient être judicieux quant à la validation d’un diplôme, à commettre une erreur que vous regretterez longuement. Toute découverte de fraude est dommageable.

Enfin, nous faisons tout pour vous aider à réfléchir par vous même. A faire de vous des gens en capacité à agir en autonomie, en indépendance. Vous voudriez n’être plus, vous la génération qui clame sa liberté, que dépendants à un chatbot qui vous dicterait tout de vos réflexions ? Utilisez ChatGPT (pour ma part, je ne vous l’interdis pas et je reste admiratif de cet outil) avec prudence, logique, réflexion et distance. C’est un outil, pas une fin en soi.

Par Cédric LABROUSSE

Le 11 janvier 2023

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