Louis XIV, roi de la guitare
Sous le règne du roi Louis XIV, la guitare va connaître un essor inédit. Pendant plusieurs décennies, l’instrument rivalisa presque avec la vedette des cordes qu’était le luth. Jouée à l’origine par des italiens et espagnols, la guitare a séduit des artistes et luthiers français, influencés par les goûts de la cour royale. Louis XIV lui même en fut un joueur plutôt talentueux. Reconnue de tous, la guitare va connaître une diffusion progressive, y compris après la mort du Roi Soleil. Dans cet article, je vous invite à redécouvrir ce moment d’Histoire désormais largement oublié du commun.
Une éducation à la guitare pour le roi Louis XIV
Un instrument venu d’ailleurs
La guitare que l’on désigne désormais la guitare baroque, ancêtre des nombreuses guitares qui ont suivi jusqu’à nos jours, était connue en France au XVIIème siècle. Cependant, la guitare avait pris ses lettres de noblesse dans deux territoires voisins : en Italie et en Espagne. La guitare baroque est elle même une guitare renouvelée à cette époque. En effet, certes à cordes doubles (comme le luth), la guitare baroque possédait 5 cordes. Quand la guitare dite renaissance (du nom de l’époque précédente) n’en possédait que 4. Sur le détail des sonorités et accords, je vous renvoie vers cet article de Loïc Chahine.
L’éducation à la guitare
Par où commencer cette histoire entre le roi et cet instrument de musique alors peu diffusé ? Tout d’abord, évoquons l’enfance de Louis XIV, alors seulement jeune prince. Au début du XVIIème siècle, le roi Louis XIII s’entoura d’artistes venus de nombreux horizons. Notamment des italiens de la célèbre commedia dell’arte. C’est ainsi que Tiberio Fiorilli, que l’on connut tout autant sous son nom de personnage, Scaramouche, arriva à Paris. Fiorilli fit le bonheur du jeune Louis, alors enfant, en jouant de sa guitare et en amusant le public.
Cette passion pour la guitare allait se confirmer avec l’entourage de professeurs et musiciens qui formèrent le roi aux arts musicaux. La mort de son père n’empêchant pas cette transmission de la passion pour la musique. Ce fut Mazarin qui s’en assura. En premier lieu, le jeune prince est formé au luth, sous la direction de Germain Pinel, à partir de 1647. Par la suite, il s’initia à la guitare, dès 1651, suivant les cours de Bernard Jourdan de la Salle, natif de Séville (Espagne).
On ne lui apprit qu’à danser et à jouer de la guitare […].
Voltaire, évoquant Louis XIV, dans une lettre du mois de mars 1737 à l’intention du futur Frédéric II de Prusse (source).
La guitare par un entourage de qualité
Dans le même temps, c’est un italien, de la cité de Mantoue, qui vint à la cour. Francesco Corbetta, qui se fit connaître en France comme Francisque Corbet, entra au service du jeune roi dès 1656. C’est probablement Francesco Corbetta qui mènera Louis XIV à devenir un joueur de qualité en l’influençant par ses mélodies et sa maîtrise. Cependant, au gré de mes lectures, je rejoins les travaux de Monica Hall penchant pour contredire ce qui est parfois partagé en France : Francesco Corbetta ne fut probablement jamais le professeur de Louis XIV. Cette rumeur tient d’un passage de l’ouvrage de Jacques Bonnet où, il évoquait (sans le nommer) un professeur (peut être) italien :
(Louis XIV) […] égala son maître de guitare que le Cardinal Mazarin avait fait venir exprès d’Italie pour lui montrer à jouer de cet instrument.
Jacques Bonnet, Histoire de la musique et de ses effets depuis son origine jusqu’à présent, publié en 1715 (source).
De fait, les documents d’époque rappellent que Bernard Jourdan de la Salle resta maître (incluant le rôle de professeur) de guitare du roi jusqu’en 1695, date de la mort de Jourdan de la Salle, auquel la nationalité française fut accordée en 1681. Ce lien fort se confirma notamment quand Louis XIV accepta d’être le parrain de son fils.
La guitare sous le règne du roi Louis XIV
Louis XIV mécéna nombre de guitaristes. Parmi lesquels on trouvait Tiberio Fiorilli, qui avait tant marqué sa jeunesse. En effet, ce dernier fut un de ses protégés jusqu’à la mort du comédien en 1686. Tout autant qu’il les protégeait, il partageait avec eux sa passion. Ainsi, par l’entremise du roi et de son entourage, Francesco Corbetta fut présenté à Jean-Baptiste Lully. Pour ce dernier, en 1656, il créa quelques variations de guitare à intégrer à son ballet La galanterie du temps, joué devant Louis XIV. Par ailleurs, les traces de dédicaces au roi, par ces guitaristes de talent, furent nombreuses. On peut nommer les ouvrages de tablatures pour guitare de Francesco Corbetta, comme La guitare royale, éditée en 1671, dont une version fut dédiée au roi Louis XIV.
Robert de Visée, Louis XIV et la famille royale
Un petit recueil de pieces de Guittare, que j’ay composées, et qui ont eû le bonheur de ne vous pas déplaire
Robert de Visée, dans sa présentation et sa dédicace au roi Louis XIV de son Livre de guitare, publié en 1682 (source).
elles ont eû plusieurs fois la gloire d’Amuser V.M. dans les heures de ce precieux loisir
je l’ay veüe moimesme ne pas dédaigner quelque fois l’Exercice de nostre Art, et toucher la Guittare […]
Nous ne pouvons évoquer la passion pour la guitare du roi sans souligner sa rencontre avec Robert de Visée. Dans un premier temps, rappelons que Robert de Visée fut à la fois un guitariste mais aussi un luthiste et un théorbiste, entre autres talents. Ayant potentiellement connu Francesco Corbetta, Robert de Visée intégra la musique de la chambre du roi vers 1680. Repéré pour ses talents, notamment à la guitare, il s’attira l’oreille du souverain. Dans la présentation de son Livre de guitare, publié en 1682, et dédié à Louis XIV, Robert de Visée révélait même que le roi le rejoignait à la guitare pour jouer !
Robert de Visée ne fut pas seulement le musicien et guitariste du roi. Il fut le professeur de guitare du jeune prince Louis, appelé à devenir roi sous le nom de Louis XV. Par ailleurs, devenu effectivement roi, Louis XV le nomma, dès 1719, comme maître de guitare du roy, à la suite des Jourdan de la Salle. D’autres membres de la famille royale s’adossèrent à l’apprentissage de la guitare sous le règne de Louis XIV. On signalera Elisabeth-Charlotte d’Orléans, princesse Palatine et nièce du Roi Soleil, qui fut une joueuse passionnée.
L’essor de la fabrication de la guitare sous Louis XIV
Nombre de luthiers parisiens, influencés par les choix de la cour et les passions royales, se lancèrent dans la production de guitares. Plusieurs noms sont restés célèbres. On peut ainsi signaler le travail de Jacques Dumesnil, dont une guitare de 1648 est conservée au Musée de la Musique à Paris (à découvrir ici). Mais une famille de luthiers et fabricants de guitares a marqué son temps : les Voboam. Florence Gétreau leur a consacré de nombreux travaux. Que je vous invite à découvrir en liens dans la bibliographie associée à cet article. Les Voboam ont produit, sur plusieurs générations, et principalement sous le règne de Louis XIV, des guitares de grande facture. En outre, l’une d’entre elle, datée de 1692, a appartenu à la nièce de Louis XIV.
A la mort du Roi Soleil, la guitare s’épanouit dans les orchestres les plus renommés du royaume et ailleurs en Europe. Passée d’instrument mineur à instrument de qualité et de cour, la guitare va gagner les cœurs. Au XVIIIème siècle, elle poursuit sa diffusion. Au XIXème siècle, elle débutera son âge d’or, qui ne s’est jamais terminé depuis.
Bibliographie sur la guitare et Louis XIV
Ouvrages
- Tom Evans et Mary-Anne Evans, Le grand livre de la guitare, de la Renaissance au Rock, publié en 1979 chez Albin Michel.
- Alain Mitterand, Histoire de la guitare, publiée en 2007 aux éditions Zurfluh.
- Marcelle Benoit, Versailles et les musiciens du roi, 1661-1733, publié en 1971 aux éditions Picard.
- Erik Orsenna, Histoire du monde en neuf guitares, publié en 2006 aux éditions du Livre de Poche.
- Jeanne Noël, La guitare en France au temps de Louis XIV d’après les textes, thèse de doctorat en Musicologie sous la direction d’Édith Weber, soutenue en 1988 à Paris 4.
Articles
- Florence Gétreau, “Recent Research about the Voboam Family and their Guitars”, publié en 2005 au sein du Journal of the American Musical Instrument Society, XXXI, pages 5 à 66. A consulter entièrement : ici.
- Florence Gétreau, “Attribution et chronologie des instruments de la dynastie Voboam à Paris (1640-1740). : La méthode historique et organologique au service de la datation”, version écrite d’une intervention pour la journée d’étude Dater l’instrument de musique qui s’est tenue en juin 2009 à Paris, France. A consulter entièrement : ici.
- Le rappel de Loïc Chahine, en date du 2 août 2015, publié sur Le Babilliard : à lire ici.
A écouter
- Une émission de Radio France, produite par Anne-Charlotte Rémond et diffusée le 15 janvier 2021 sur Radio France | France Musique, “Robert de Visée, guitariste du Roy”. A écouter en cliquant ici.
- Une partie des compositions de Robert de Visée, interprétée par Hopkinson Smith, enregistrée en 1989 et diffusée par les éditions Astrée. A écouter en cliquant ici.
- Une partie des compositions de Robert de Visée et de Francesco Corbetta, interprétée par Robert Strizich, enregistrée en 2000 et diffusée par les éditions Doberman-Yppan. A écouter en cliquant ici.
Un article par Cédric LABROUSSE
Le 12 avril 2023
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